article de Didier Jamet
9 DECEMBRE 2001
À l'échelle cosmique, L'étoile Sirius, dans la constellation du grand
chien, est notre voisine de palier: moins de 9 années-lumières nous séparent en effet de la plus brillante étoile des nuits terrestres. Mais cette
relative proximité ne l'empêche pas de préserver jalousement ses secrets.
Alors qu'elle est observée depuis la plus haute antiquité, on sait seulement depuis le 19eme siècle qu'elle partage sa vie avec une autre étoile, Sirius B.
Aujourd'hui, on suspecte un troisième larron de se cacher dans les perturbations orbitales résiduelles du couple. Emmenée par Jean-Marc Bonnet-Bidaud, une équipe d'astronomes Français a décidé d'en savoir plus.
Pour ce faire, ils ont comparé deux images du voisinage immédiat de Sirius, obtenues à treize ans d'intervalle. En effet, le mouvement propre très important de Sirius sur le fond du ciel allait permettre de trancher sans hésitation la question suivante: Parmi les 15 étoiles observées autour du couple en 1985, l'une d'elles avait-elle suivi Sirius A et B dans leur déplacement, preuve irréfutable de son interaction avec eux ?
La réponse est négative. Tandis que Sirius et son compagnon se sont déplacés de 14 secondes d'arc en 13 ans, le plus véloce des quinze candidats n'a pas dépassé les 0,5 secondes d'arc.
Toutefois, l'expérience a été riche d'enseignements.
Elle a par exemple permis d'expliquer, en remontant vers le nord la ligne imaginaire tracée par sirius dans son déplacement, pourquoi plusieurs observateurs de la décennie 1920-1930 avaient affirmé avoir détecté
visuellement un nouveau compagnon. Durant cette période, la position de Sirius croisait celle d'une étoile de magnitude 12, induisant en erreur les astronomes de l'époque par un simple effet de perspective.
Mais cette étude a surtout permis de préciser les conditions que devrait remplir ce nouveau compagnon encore hypothétique.
Tout d'abord, il faut préciser que la technique utilisée pour prendre ces images, à l'aide d'un coronographe masquant l'écrasante luminosité de Sirius, ne pouvait détecter des étoiles que jusqu'à la magnitude 17, et au-delà d'un rayon de 30 secondes d'arc.
Compte tenu de ces limitations techniques, que pourrait être ce compagnon si discret qu'il s'obstine à demeurer introuvable ?
- une exotique variété d'étoile avortée de type naine brune, d'une masse inférieure à 0,08 masse solaire, et dont la magnitude pourrait se situer au delà de 18. Plusieurs exemplaires de ce type d'étoile ont déjà été trouvé, la première ayant été Kelu-1
- une étoile de très faible masse, naine rouge ou brune, dont la séparation apparente d'avec Sirius A pourrait ne pas dépasser les 3 secondes d'arc, donc demeurer indétectable avec les moyens mis en oeuvre jusqu'à présent.
De récents calculs laissent à penser qu'une telle étoile pourrait avoir une période de rotation de 6 ans, autour de Sirius A.
- enfin, l'hypothèse d'un même type d'astre de faible masse, mais doué d'une orbite excentrique de très longue période, ne peut être totalement écartée. A vrai dire, c'est même l'hypothèse favorite de Jean-Marc Bonnet-Bidaud.
Elle permettrait de rendre compte des étonnants changements de couleur que semble avoir connu Sirius au premier siècle de notre ère: l'étoile, d'une couleur ordinairement blanche, vira alors durablement au rouge cuivré.
Des sources variées, principalement grecques et chinoises, concordent sur ce
point. Une explication possible tient aux conséquences du passage au périgée d'un compagnon de faible masse, auquel Sirius aurait arraché, par effet de marée, une quantité non négligeable de matière, provoquant le rougeoiement observé.
Il existe une probabilité pour qu'un compagnon de longue période
(supérieure à 2000 ans) sur une orbite très allongée et aplatie (ce que les astronomes appellent une "forte excentricité") ait échappé jusqu'alors à l'observation: il suffirait pour cela que la plus grande dimension de cette orbite (le grand axe de l'ellipse) soit presque parallèle à la ligne de visée terrestre pour que nous n'ayons encore aucune possibilité de le détecter.
Pour mieux connaître l'entourage immédiat de Sirius, il sera nécessaire de mener les investigations dans le domaine infrarouge, longueur d'onde
particulièrement adaptée à la détection d'astres faibles. Et Jean-Marc Bonnet-Bidaud espère même pouvoir bientôt utiliser le V.L.T., le puissant télescope Européen installé au Chili, afin de mener à bien cette quête passionnante.
Source: Jean-Marc Bonnet-Bidaud, service d'Astrophysique, CEA Saclay