Antu prend d’assaut le nid d’Aigle

article de Laurent Laveder
31 DECEMBRE 2001

Antu, un des télescopes géants du VLT, vient de réaliser une magnifique image infrarouge de la nébuleuse de l’Aigle. Cette vue, riche en couleurs et en détails, nous montre la célèbre nébuleuse M 16, photographiée par Hubble en 1995, sous un angle nouveau. Mais avant d’être une belle image, c’est avant tout pour les astronomes un début de réponse à de nombreuses interrogations sur la genèse des étoiles.

En 1995, lorsque l’équipe en charge du télescope spatial Hubble rend public les images de M 16, dite Nébuleuse de l’Aigle, c’est un choc pour le public : jamais relief n’avait été aussi saisissant sur une image astronomique ! Les images révélaient de vastes piliers de gaz et de poussière exhibant de nombreuses structures. Parmi celles-ci, les astronomes détectèrent un nouveau type d’objet : des globules de gaz s’évaporant. Jamais à court d’humour, les scientifiques les surnommèrent EGG (pour " Evaporating Gazeous Globule "), ce qui signifie " œuf " en anglais. Après tout, un aigle, ça pond des œufs…

Les œufs de l’Aigle

Les EGG sont des poches denses de gaz et de poussière opaques à la lumière visible. A proximité de ces globules se trouve un amas de jeunes étoiles massives et énergétiques, NGC 6611. Les puissantes radiations ultraviolettes de ces étoiles soufflent le gaz des globules, d’où leur évaporation. Sur les images d’Hubble, les astronomes avaient trouvé un ou deux de ces globules ayant en son sein une jeune étoile. Ils en avaient déduit l’existence d’étoiles nées de la densité en gaz de ces structures. Ainsi, les EGG recèleraient des étoiles en leur sein.

Hélas, l’opacité de ces globules en lumière visible empêcha de pousser plus avant les investigations. Les Sherlock Holmes astronomiques devaient se doter d’une nouvelle loupe : un télescope fournissant des images très fines en infrarouge, partie du spectre filtrant à travers le gaz et les poussières des EGG.

ISAAC et le VLT

ISAAC et le VLT sont la réponse aux attentes des astronomes. ISAAC est une caméra numérique détectant les infrarouges. Installée au foyer du Very Large Telescope, elle fournit des images infrarouges très précises qui atteignent la résolution de 0,35 seconde d’arc. Les EGG mesurant typiquement 0,5 seconde d’arc, c’est une combinaison idéale pour poursuivre les investigations.

D’avril à mai 2001, les techniciens du VLT ont réalisé des séries de poses à travers trois filtres infrarouges différents. Le champ photographié déborde nettement de celui du télescope spatial Hubble. C’est un total de 144 poses (allant de 1200 à 50 secondes) qui ont été prises, couvrant un champ de 9,1 minutes d’arc de côté.

A chaque filtre est associé une couleur spécifique : bleu pour la bande spectrale Js (environ 1,22 µm de longueur d’onde), vert pour la bande H (environ 1,65 µm) et rouge pour la bande Ks (environ 2,16 µm). Ainsi, les couleurs de la photographie ne sont pas ses véritables couleurs (de toute façon, c’est impossible car l’œil humain ne voit pas l’infrarouge) mais des couleurs arbitraires qui rendent compte au mieux de la réalité. Les astronomes appellent cela des photos en couleurs réalistes.

De quoi faire une bonne omelette !

Ayant l’outil permettant de voir à travers les EGG, les astronomes se sont mis à chercher les hypothétiques étoiles nées de ces structures. Sur les 73 EGG de M 16, les scientifiques ont trouvé une étoile sous la coquille d’au moins 11 EGG. Ils soupçonnent encore 5 EGG mais se demandent s’il ne s’agit pas simplement d’étoiles situées bien au-delà des globules et dont la lumière filtrerait à travers le gaz et la poussière des EGG.

La plupart de ces étoiles font partie du plus grand des piliers de la Nébuleuse de l’Aigle. Leur masse semble être inférieure à celle de notre Soleil. Quant aux autres EGG, ce n’est pas parce que l’on n’y voit aucune étoile qu’il n’y a rien. La densité de certains globules est telle que même les infrarouges ne peuvent les traverser. On peut parfaitement imaginer que des étoiles très jeunes s’y forment actuellement sous leur épaisse coquille opaque. Les astronomes sont confortés dans cette idée car un rapide jet de gaz semble sortir d’un EGG dans lequel aucune étoile n’est pourtant visible. Or, ces jets, appelés jets de Herbig-Haro, sont éjectés par de jeunes étoiles. Ce serait donc la preuve que des étoiles demeurent invisibles, même en infrarouge.

Qui de la poule ou de l’œuf ?

Le VLT a donc apporté une réponse cruciale : les EGG renferment parfois de jeunes étoiles. Mais " qui de la poule ou de l’œuf est né le premier ? ", comprenez " est-ce les étoiles ou les EGG qui sont nés les premiers ? ". Les scientifiques se demandent en effet si les étoiles sont nées avant que les radiations ultraviolettes ne soufflent leur globule ou si ce sont justement les radiations qui ont contracté le gaz et allumé les étoiles.

L’image du VLT est incapable de le dire. Il faut des outils encore plus puissants pour donner la réponse ! Le futur NGST (Next Generation Space Telescope "), successeur du télescope spatial Hubble, fonctionnera parfaitement dans l’infrarouge et fournira peut-être ne serait-ce qu’un début de réponse.

Mais qu’adviendra-t-il des jeunes étoiles formées dans les EGG lorsqu’elles seront exposées aux intenses radiations ultraviolettes de NGC 6611 (suite à l’évaporation totale de leur globule). Survivront-elles ? Auront-elles la force de former un disque d’accrétion, embryon de système planétaire ? Comme souvent en astronomie, la réponse à une seule question fait naître bien d’autres interrogations.

Dans notre dictionnaire de l'astronomie...

"La nuit étoilée à Saint-Remy", de Van Gogh.<br>Pour voir l'Univers tel qu'il est, il faut soit la rigueur du scientifique, soit la sensibilité de l'artiste.Tout le reste n'est qu'illusion...
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