article de Didier Jamet
4 MAI 2002
Elles sont jeunes et brillantes, font tourner les têtes, et sont pourtant d’une étonnante apathie. Ces adolescentes difficiles ne squattent pas le canapé du salon, mais tournent sur elle-même de façon anormalement lente dans les nurseries d’étoiles. Et si cette attitude cachait un malaise plus profond ?
Retraçons tout d’abord leur enfance mouvementée: les bébés étoiles se forment par fragmentation et contraction des nuages de gaz interstellaire, sous l’effet des variations de densité induites par l’environnement du nuage (explosion de supernova proche, collision galactique…).
Lorsque la densité en gaz atteint 100 grammes par centimètres cubes, la température au cœur de la proto-étoile dépasse les 10 millions de degrés, et permet aux réactions de fusion nucléaire de s’amorcer : une étoile est née.
Tant qu’il reste du gaz autour d’elle, l’étoile continue de se contracter, augmentant sa masse et sa densité. Parallèlement, telle une patineuse ramenant ses bras le long de son corps, sa vitesse de rotation sur elle-même doit augmenter de manière significative en vertu de ce que les physiciens appellent la conservation du moment angulaire.
Astrophysique amusante au bureau…
Vous pouvez essayer de mettre cette loi physique en évidence à l’aide d’une simple chaise de bureau pivotante. Asseyez-vous sur la chaise, prenez une bouteille d’eau pleine dans chaque main, demandez à quelqu’un de mettre la chaise en rotation, puis écartez et ramenez alternativement les bras vers vous: vous devriez ressentir les variations de vitesse liées à cette fameuse conservation du moment angulaire, qui, exprimée autrement, signifie que l’aire couverte par la masse dans un même intervalle de temps reste constante (Vous devriez également ressentir une légère nausée liée à la force centrifuge… Attendez d’avoir retrouvé l’équilibre pour descendre de la chaise…)
Le problème avec les jeunes étoiles, c’est qu’une fraction significative d’entre elles ne tourne pas à la vitesse attendue, mais beaucoup plus lentement.
Simple tocade passagère ou… grossesse précoce ?
Pourquoi ces étoiles adolescentes traînent-elles ainsi les pieds ? Luisa Rebull, chercheuse au Jet Propulsion Laboratory, avance quatre sources d’explication :
- Une bizarrerie liée aux conditions locales qui régnaient dans le nuage originel. Il s’agirait donc simplement d’exceptions à la règle
- Les vents stellaires : intenses chez les jeunes étoiles, ils pourraient jouer le rôle des bouteilles d’eau portées à bout de bras dans l’expérience décrite ci-dessus, en emportant une partie non négligeable du moment angulaire.
- Le champ magnétique des jeunes astres pourrait les freiner en rentrant en interaction avec le disque de poussières et de gaz subsistant autour d’eux.
- Ce disque de poussières se serait lui-même déjà condensé en système planétaire, et des planètes géantes voleraient à la jeune étoile son moment angulaire, comme c’est le cas pour Jupiter dans notre propre système solaire.
Cette dernière hypothèse intéresse beaucoup les chasseurs d’exoplanètes, car si elle s’avérait exacte, elle permettrait de concentrer les efforts de recherche sur les étoiles présentant cette rotation anormale. Un sérieux atout dans la perspective des futures missions spatiales de recherche de planètes extrasolaires, qui sans cela devront chercher au hasard les nouvelles Terres.
Outre Luisa Rebull, l’équipe de recherche à l’origine de ces travaux comprend Sidney Wolff, Steven Strom et Russell Makidon. L’étude scientifique complète paraîtra dans l’édition de juillet 2002 de l’Astronomical Journal. Source : JPL
