L’anneau perdu d’un Capitaine céleste

article de Didier Jamet
20 FEVRIER 2002

Occultation de Saturne par la Lune vue depuis le Nord de la France par Etienne Bonduelle, le 3 novembre dernier. Une simple Webcam placée derrière l\'oculaire d’un télescope de 200 mm de diamètre. Impressionnant non ? Vous pouvez le faire…
Occultation de Saturne par la Lune vue depuis le Nord de la France par Etienne Bonduelle, le 3 novembre dernier. Une simple Webcam placée derrière l'oculaire d’un télescope de 200 mm de diamètre. Impressionnant non ? Vous pouvez le faire…

Etienne Bonduelle

La planète aux anneaux va disparaître derrière la Lune ce soir, pour le plus grand bonheur des observateurs Nord-Américains. Nos amis Québécois seront aux premières loges, bénéficiant d’une nuit bien installée qui leur permettra de jouir du spectacle dans les meilleures conditions possibles. Entre Laurentides et Rivière du Loup, dans un paysage grandiose digne de sa majesté, le Seigneur des anneaux s’éclipsera pour mieux renaître.

Pas besoin d’un monstrueux équipement pour apprécier l’événement dans toute sa splendeur : avec un peu d’entraînement, un télescope de 150 millimètres de diamètre permet déjà de distinguer la division de Cassini, séparant les anneaux A et B.

À partir du premier contact, le disque lunaire aura englouti Saturne et ses anneaux en moins de deux minutes. L’occasion pour les plus attentifs de tenter d’apercevoir la lueur fugitive de " l’anneau perdu ".

Le charme puissant des phénomènes légendaires

En 1973, dans les mêmes circonstances que ce soir, l’astronome Canadien Glen Reed attendait avec impatience de voir le bord de l’anneau A, le plus extérieur, réapparaître de derrière la Lune. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, avant l’anneau proprement dit, il aperçut une faible lueur le précédant.

Il n’était pas le seul. Ni le premier. Depuis 1908, de nombreux astronomes amateurs, beaucoup d’entre eux parmi les plus chevronnés, ont affirmé avoir observé le même phénomène, qui pourrait correspondre aux reflets ténus des très faibles anneaux F, G et E, situés juste au-dessus des anneaux principaux.

Une prouesse impossible ?

Mais il y a un problème : personne ne pense sérieusement que ces anneaux surnuméraires puissent être visibles depuis la Terre avec des télescopes amateurs. Alors quoi ? la berlue ?

Il y a eu plusieurs tentatives d’explication. L’une d’elles imaginait que des amateurs bénéficiant de très bon matériel, et de conditions locales d’observation exceptionnelles, aient pu effectivement discerner ces anneaux, protégés de l’aveuglante lumière de Saturne par le limbe lunaire.

Une autre possibilité est que les anneaux extérieurs aient été jadis plus brillants qu’aujourd’hui. Pour Jeff Cuzzi, spécialiste des systèmes annulaires à la Nasa, " les anneaux de Saturne ne sont pas gravés dans le marbre pour l’éternité. Nous avons de bonnes raisons de penser que de minuscules lunes les perturbent périodiquement, provoquant le rafraîchissement de certaines portions des anneaux. Mais le processus est également réversible, et de fins anneaux peuvent se concentrer en arcs incomplets, ce qui expliquerait qu’ils ne sont pas visibles par tous au même moment "

Le meilleur candidat pour expliquer ce phénomène d’anneau perdu est en fait l’anneau E, assez large et suffisamment éloigné de l’anneau principal A. Cuzzi poursuit " Nous pensons qu’une partie du matériel de l’anneau E provient d’Encelade, une petite lune de Saturne de 250 kilomètres de diamètre. Les particules de poussière de la surface seraient délogées par l’impact de météorites, et se trouveraient attirées vers Saturne avant de se disperser pour former l’anneau. Il est intéressant de noter que l’anneau est beaucoup plus brillant du côté d’Encelade que du côté opposé. "

Il y a encore une autre possibilité, beaucoup plus spéculative, mais dont l’originalité est bien séduisante.

Volcanisme sur Encelade ?

Parmi les images de la surface glacée d’Encelade envoyées par le vaisseau Voyager 1 en 1980, certaines montrent des régions étrangement lisses, comme si elles venaient de fondre. C’est pourquoi certains scientifiques audacieux ont imaginé la présence sur cette lune de volcans, ou du moins de geysers, qui projetteraient périodiquement, à la faveur de la faible gravité de cet astre, des matériaux glacés vers l’anneau E. Cependant, l’origine du volcanisme sur une si petite lune reste bien difficile à expliquer…

Quoi qu’il en soit, amis Québécois, que vous aperceviez ou non l’anneau perdu, le spectacle sera de toute beauté ce soir. Votre temps, lui, ne sera pas perdu…



Vous trouverez, en Anglais, toutes les précisions horaires utiles pour vos observations sur le site de nos confrères de "Sky & telescope"

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