article de Didier Jamet
7 DECEMBRE 2001
En combinant la puissance du télescope spatial Hubble et celle du télescope Européen VLT, une équipe internationale vient de mettre en évidence le rôle joué par les objets massifs et compacts du halo (MACHO en anglais) dans l’énigme de la masse manquante.
La nature véritable de la masse manquante, encore appelée matière sombre, est une des énigmes les plus troublantes de notre Univers. En observant le comportement dynamique des galaxies et des amas qu'elles forment à grande échelle, les chercheurs ont depuis longtemps constaté qu’elles se comportaient comme si l’essentiel de leur masse restait invisible à nos yeux, même équipés des plus puissants télescopes.
Depuis une dizaine d’années, différentes stratégies de recherche de cette masse manquante ont été proposées. Parmi elles, la théorie des MACHOS (Contraction des mots anglais " MAssive Compact Halo Objects ") a rencontré un certain succès. Elle propose qu'une partie importante de la masse manquante soit en fait constituée de matière tout à fait traditionnelle, mais simplement trop peu lumineuse pour être détectée depuis la Terre : Naine brune, naine rouge, naines blanches, ces différentes variétés de petites étoiles compactes et massives étaient des candidats tout à fait plausibles pour expliquer en partie la différence de masse.
En 1986, Bohdan Paczynski, de l’Université de Princeton, se rendit compte que si la matière sombre prenait bien la forme de MACHOS, on devait pouvoir la détecter en observant des effets de lentille gravitationnelle
Les effets de lentille gravitationnelle se produisent lorsqu’un objet massif s’intercale entre l’observateur et une source lumineuse lointaine en arrière plan. L’observateur voit soudain la luminosité de la source lointaine augmenter sensiblement, les rayons lumineux se trouvant focalisés dans sa direction, courbés qu’ils sont par la masse située au premier plan.
Dans le cas des MACHOS, l’effet recherché était plus précisément celui d’une microlentille, puisque par définition ces objets compacts ont un pouvoir focalisant bien moins grand qu’une galaxie entière, lesquelles sont responsables de la plupart des effets de lentille gravitationnelle connus.
C’est ainsi que naquit en 1991 le " projet MACHO ", utilisant un télescope entièrement dévolu à ce type de recherche, celui du mont Strolo en Australie. 10 millions d’étoiles lointaines, situées à 170 000 années-lumière, dans la galaxie du grand nuage de Magellan, furent observées jusqu’en 1999, dans l’attente d’une saute de luminosité suspecte.
En 1993, le projet mit à jour sa première lentille gravitationnelle en direction du grand nuage, et 19 autres suivirent. Les astronomes en déduisirent alors statistiquement que les MACHOS pouvaient représenter jusqu’à la moitié de la matière sombre " normale " de notre galaxie (Les physiciens des particules pensent qu’il existe sans doute de la matière sombre " anormale ", c’est-à-dire constituée de particules exotiques de masse sub-atomiques, interagissant très peu avec la matière normale. Bien qu’impossibles à détecter avec les technologies actuelles, leur existence semble confirmée par les équations de la physique quantique.)
Fort de ces données, ils se sont alors posé la question de savoir ce que l’on pourrait apprendre de plus sur les MACHOS si on braquait le télescope spatial en direction d’une de ces microlentilles, 6 ans après l’événement. Leur espoir était que cet intervalle de temps ait permis au MACHO responsable de l’effet de lentille de glisser hors de l’aveuglante tache de lumière de l’étoile lointaine, tout en étant encore visible.
Pari gagné.
Et ça a marché. À coté de la géante bleue dont l'éclat avait brutalement augmenté 6 ans auparavant, Hubble a bien détecté une étoile naine rouge, située à environ 600 années-lumière, et dont la masse ne dépasse pas 10 % de celle du Soleil.
Appelant le VLT en renfort, ils sont même parvenus à obtenir un spectre partiel de l’objet, c’est-à-dire une analyse de sa lumière qui nous renseigne sur sa composition et sa température.
En recombinant toutes ces données, ils ont acquis l’incontestable certitude d’avoir réalisé la première observation directe d’un MACHO.
Ce résultat renforce l’argument selon lequel une large part de la masse manquante " normale " trouve sa solution avec les MACHOS, et que cette matière n’est finalement pas si sombre que cela.