Abord rugueux mais coeur tendre :
La Lune trahie par son nombre de Love

article de Didier Jamet
21 FEVRIER 2002

Si elle demeure le seul corps extraterrestre à avoir reçu la visite de missions habitées, la Lune n'en garde pas moins ses mystères. Paradoxalement, les missions Apollo ont fait jaillir plus d'énigmes qu'elles n'en ont résolues. Parmi celles-ci, la question de la composition et de l'état du coeur sélène reste une des plus vivaces.

Coup d'oeil dans le rétro réflecteur

Aujourd'hui, près de trente ans après la dernière de ces formidables missions d'exploration lunaire, certains des instruments scientifiques qui furent déposés à la surface de notre satellite fonctionnent encore parfaitement. Ce sont des cibles réfléchissantes, dispositifs totalement passifs qui resteront encore opérationnels durant des milliers d'années, avant que la poussière lunaire ne les ait complètement recouverts.

Ces rétro réflecteurs renvoient vers la Terre les rayons laser émis à dessein depuis celle-ci. En mesurant le temps de trajet aller-retour du faisceau de lumière cohérente à la vitesse finie de 300 000 kilomètres par seconde, les scientifiques peuvent mesurer les variations de la distance Terre-Lune jusqu'à la remarquable précision de 2 centimètres.

Grâce à cela, ils sont parvenus à préciser l'amplitude des véritables " marées lunaires " solides qui font osciller la surface lunaire, comme la " hola " secoue le public enthousiaste d'un stade. Cela leur a permis de fournir une nouvelle estimation du " nombre de Love " lunaire.

Parlez moi de Love...

Contrairement à ce que pourraient laisser penser ses romantiques consonances, ce nombre n'a rien d'une fantaisie numérologique destinée à tracer une nouvelle carte du tendre lunaire. C'est en fait un coefficient mathématique sans aucune poésie, mais qui permet de caractériser la façon dont un corps céleste se déforme sous l'effet des marées en fonction de sa composition interne. Il a été mis au point par Augustus E.H. Love, mathématicien anglais dont les travaux ont culminé au début du XXeme siècle.

Dans le cas de la Lune, le nombre de Love vient d'être réévalué (1) à 0,0266, beaucoup plus faible que celui de la Terre, qui est proche de 0,3. En variation d'amplitude à la surface, cela donne 10 centimètres pour la Lune sur 27 jours, contre 30 centimètres en 24 heures pour la Terre.

Le noyau pose des pépins

Les études sismologiques entreprises lors des missions Apollo indiquaient que les ondes sismiques, engendrées par exemple par la chute sur la surface lunaire du dernier étage de la fusée Saturn V, perdaient de leur énergie environ 1000 kilomètres sous la surface lunaire. Cela laissait suspecter la présence d'un manteau visqueux autour d'un hypothétique noyau métallique central. Mais la distance précise à laquelle se produit la transition entre manteau rigide et visqueux manque encore cruellement de précision. Cette donnée est pourtant fondamentale dans la compréhension des rarissimes séismes lunaires. Avec ce nouveau nombre de Love, on devrait y voir plus clair.

Au-delà, l'étude de la variation de ce nombre dans le temps permettra peut-être de déceler les effets d'une rotation du noyau métallique, confirmant par là même son existence.

Ces batteries d'études théoriques, associées aux nombreuses missions d'observation directe en préparation (SMART 1 pour l'ESA à l'automne 2002, Lunar A en 2003 et Selene en 2004 pour le japon), devraient bientôt permettre de lever le voile sur les dernières " faces cachées " de l'astre des nuits.



(1) C'est à une équipe du Jet Propulsion Laboratory dirigée par James Williams que cette nouvelle estimation est due. Ces résultats seront présentés en mars 2002 au congrès annuel de Science Lunaire et Planétaire qui se tiendra à League City, au Texas.

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