article de Thibaut Alexandre
10 AVRIL 2024
Une comète périodique de type Halley s'apprête à passer dans quelques jours à proximité du Soleil. Depuis la Terre, elle est maintenant visible à l'oeil nu. Les conditions d'observation de cette comète sont bonnes cette semaine, mais il ne faudra pas tarder, car après le 15 avril, il sera trop tard !
Présentation générale : 12P/Pons-Brooks est une comète périodique de type Halley, puisqu'elle a une période orbitale de 71 ans environ. C'est une jolie boule de neige sale (comprenez un mélange de glaces et de roches) de 34 km de diamètre (à 12 km près), tournant sur elle-même en 57 heures, à une heure près.
Son orbite est fortement inclinée par rapport à celle de la Terre : 74,2°. Au périhélie (point de l'orbite le plus proche du Soleil), elle est à 0,78 UA du Soleil. Pour rappel, une UA (Unité Astronomique) est la distance moyenne Terre-Soleil, soit environ 150 millions de km. A l'aphélie (point de l'orbite le plus éloigné du Soleil), elle en est distante de 33,6 UA (5,03 milliards de km), soit juste à l'extérieur de l'orbite de Neptune.
Son orbite a la particularité d'être en résonance 6 :1 avec Jupiter, ce qui signifie que quand 12P/Pons-Brooks boucle une orbite, Jupiter en boucle 6. Autant dire qu'elle est bien verrouillée. L'orbite est même très stable durant la période 1740 - 2167, sans altération significative provoquée par une planète. Ainsi, durant la période précitée, la seule planète que la comète a croisé d'un peu près est la Terre, le 9 janvier 1884, à distance de 0,634 UA, c'est-à-dire 94 millions de km.
Historique : la comète a été découverte par l'astronome français Jean-Louis Pons, depuis l'observatoire de Marseille, le 12 juillet 1812. Pour se replacer dans le contexte de l'époque, Napoléon Bonaparte est au faîte de sa gloire, et vient tout juste de se lancer dans la campagne de Russie ... La comète, qui ne porte alors que le nom de Pons, est observée jusqu'au 28 septembre, ce qui permet par la suite de déduire qu'elle a une orbite de 70,68 ans. Elle est « accidentellement » redécouverte le 2 septembre 1883 par l'astronome américain William Brooks, depuis Phelps, près de New York. La comète prend son nom définitif de 12P/Pons-Brooks, puisqu'il s'agit alors de 12ème comète dont on observe le retour.
Son deuxième retour a eu lieu en 1954, et 2024 marque donc son troisième retour. Songez-y : avec une période de presque 71 ans, c'est le genre de comète qu'on peut espérer voir seulement 2 fois dans sa vie, pour peu qu'on la voit pour la première fois en étant jeune. Prochain retour prévu pour 2095...
Et ce n'est pas tout : le cométographe allemand Maik Meyer, magicien des calculs et grand compulseur d'archives astronomiques, a réussi à identifier deux passages de 12P/Pons-Brooks au Moyen-Age, le premier en 1385 (observations faites au Japon et en Chine), et le second en 1457 (observations faites en Italie et en Chine). Il est même possible, mais ça reste à démontrer, qu'elle ait pu être observée depuis la Chine en septembre 245.
Une comète cryovolcanique : l'une des particularités de 12P/Pons-Brooks est qu'elle peut connaitre des sursauts d'activités (appelés outbursts) qui lui font provisoirement gagner en luminosité. Différents outbursts ont été observés en 1883/1884 et en 1953/1954. On dit donc d'elle qu'elle a un comportement cryovolcanique, ce qui est plutôt logique pour une comète : au fur et à mesure que ces corps glacés s'approchent du Soleil, leur surface chauffe et des poches de gaz peuvent entrer en éruption. Son nouveau passage ne fait pas exception à la règle, puisque plusieurs outbursts ont été observés depuis 2023.
Le premier a eu lieu le 20 juillet, et dans les jours qui ont suivi, la coma (un peu l'équivalent de l'atmosphère d'une comète) de Pons-Brooks a pris la forme de deux cornes, ce qui lui vaut depuis le surnom de comète du diable dans les médias en mal de sensations. N'y voyez pas un quelconque signe annonciateur de catastrophes, c'est juste une histoire de jets de matière par rapport au noyau de la comète.
Le passage de 2024 : le 3ème retour de 12P/Pons-Brooks est attendu depuis longtemps, puisqu'elle a été retrouvée dès le 10 juin 2020, alors que la comète était juste au-delà de l'orbite de Saturne. Elle passera au périhélie le 21 avril 2024, à une distance de 0,781 UA (116,8 millions de km) du Soleil, et s'approchera au plus près de la Terre le 2 juin, à une distance respectable de 1,55 UA (232 millions de km). C'est dire si elle est active (en même temps, ce n'est pas un petit glaçon !), car au final elle est bien éloignée de nous, tout en étant visible aux jumelles.
Elle est actuellement dans le Nord de la constellation des Poissons, près d'Andromède, et se rapproche de soir en soir de la position apparente du Soleil, car oui, elle est visible le soir, vers l'Ouest, jusqu'un peu plus de 22h00, avant de disparaitre dans les lueurs du crépuscule et filer dans l'hémisphère Sud.
Sa magnitude minimum attendue est de 4,4, ce qui la rend théoriquement visible à l'oeil nu sous un ciel bien sombre, loin de toute pollution lumineuse. On privilégiera néanmoins des jumelles et l'astrophotographie, qui révèle sa belle queue de poussières. Mais n'oubliez pas qu'à tout moment, elle peut subir du cryovolcanisme, ce qui lui ferait gagner en luminosité. Le dernier outburst date d'ailleurs du 1er et 2 avril 2024, et de nombreux observateurs ont pu relever que la comète atteignait désormais la magnitude 3,5, ce qui la rend plus facile à voir à l'oeil nu.
Pour espérer voir la comète, le 10 avril sera la date à ne pas manquer (pourvu qu'il fasse beau !), car 12P/Pons-Brooks, Jupiter et le croissant de Lune vont former un beau triangle de 4 à 5° de côté. La queue de la comète sera directement pointée sur Jupiter !
Les jours suivants, elle continuera de se rapprocher de Jupiter, passant à 3° sous la planète géante les 12 et 13 avril. Passé cette date, il sera de plus en plus difficile de la repérer : elle disparait progressivement dans les lueurs crépusculaires, tandis que la Lune devient de plus en plus lumineuse.
12P/Pons-Brooks reviendra en 2095, mais de l'autre côté du Soleil par rapport à la Terre, ce qui la rendra très difficilement observable. C'est donc cette semaine ou jamais !
La météo capricieuse que nous avons en France depuis quelques mois complique évidemment le repérage de cette comète historique.
Si toutefois vous la manquez, rassurez-vous, car au mois d'octobre de cette année, séance de rattrapage avec C/2023 A3 Tsuchinshan-ATLAS, une comète à très longue période venue des confins du Système solaire, promet de nous offrir un très grand spectacle dans le ciel du soir, pour peu qu'elle survive à son passage près du Soleil ! Ciel des Hommes vous tiendra bien entendu informé du passage de cette comète.