D’obscures galaxies jettent un froid sur la matière sombre

article de Didier Jamet
25 MAI 2002

Un exemple parfait de lentille gravitationnelle. Autour de cette galaxie, quatre images pour un même objet : un quasar lointain dont la lumière est dispersée par la masse de la galaxie au premier plan.
Un exemple parfait de lentille gravitationnelle. Autour de cette galaxie, quatre images pour un même objet : un quasar lointain dont la lumière est dispersée par la masse de la galaxie au premier plan.

Harvard-cfa

L’essentiel de la matière dont est constitué notre Univers continue de se dérober à la vue des astrophysiciens, dans une proportion qui oscille entre 80 et 95 % selon les échelles de distance considérées. C’est ce qu’on appelle la matière sombre, ou encore la masse manquante. Sans elle, impossible d’expliquer la cohésion des galaxies sur plusieurs milliards d’années, pas plus que leur vitesse de rotation. Mais alors, sous quelle mystérieuse forme peut bien se trouver cette matière dont la présence s’avère aussi nécessaire que discrète?

S’appuyant sur de nouveaux travaux, deux chercheurs Américains, Neal Dalal et Christopher Kochanek, proposent de remettre au goût du jour une théorie qui jusque-là n’avait pas vraiment soulevé d’enthousiasme parmi les chercheurs : celle de la matière sombre « froide ».

Pourquoi froide ? Ce qualificatif sert simplement à traduire l’idée que cette matière, bien que constituée de particules exotiques invisibles, serait sensible à la gravitation universelle tout comme la matière visible, et tendrait également à se concentrer sous forme de galaxies.

Une des prévisions de ce modèle est que chaque galaxie « normale », c’est-à-dire visible, serait environnée d’une armada de galaxies naines de matière sombre froide, lesquelles apporteraient leur contribution gravitationnelle à la stabilité de l’ensemble tout en restant indétectables avec les moyens traditionnels d’observation.

Or le principe d’un des plus étonnants phénomènes optiques de l’Univers, celui des lentilles gravitationnelles, pourrait fournir un moyen de débusquer ces galaxies fantômes.

Des cailloux autour des lentilles ?

Les effets de lentille gravitationnelle se produisent lorsqu’un objet massif s’intercale entre l’observateur et une source lumineuse lointaine en arrière plan.

L’attraction gravitationnelle de la masse intermédiaire dévie les rayons lumineux de la source, ce qui produit des effets très variés sur l’image que reçoit l’observateur au final : La source lumineuse initiale et ponctuelle peut se trouver démultipliée comme si elle était vue au travers d’un kaléidoscope, ou bien dégradée sous forme d’arc lumineux, ou bien encore apparaître anormalement brillante.

Tout dépend en fait de la masse de l’objet qui fait lentille, et de l’alignement plus ou moins parfait entre la source, la lentille et l’observateur. Mais en évaluant un certain nombre de paramètres de la lentille (masse et distance), il est théoriquement possible de reconstruire l’image initiale de la source telle qu’elle serait apparue si elle n’avait pas été déformée par la lentille. Or l’inverse est aussi vrai : si j’obtiens telle déformation dans l’image d’un objet lointain, je peux en déduire que tel type de lentille avec tel type de propriétés doit se trouver sur le chemin des rayons lumineux.

C’est cette méthode de prospection que les chercheurs ont appliqué à l’étude de lentilles gravitationnelles présentant la particularité de scinder en quatre l’image de la source initiale.

Scrutant avec une extrême minutie les caractéristiques des quatre images reçues d’un même objet d’arrière plan, ils ont observé des variations de brillance qu’ils mettent sur le compte de ces fameuses galaxies naines invisibles environnant la galaxie-lentille.

Au final, même s’il ne sera connu en détail que dans l’édition du 10 juin de l’Astrophysical journal, le résultat paraît bien décevant : tout d’abord, d’autres phénomènes moins exotiques que ces hypothétiques galaxies sombres sont tout à fait capables de produire les variations de luminosité constatées. Les MACHOS de notre propre galaxie par exemple, également candidats à l’explication de la masse manquante, produisent des effets très similaires. Un effet de perspective n’est pas exclu.

Ensuite, les auteurs présentent leur travail comme une approche statistique du problème, démarche souvent utilisée en astrophysique, où les chercheurs ne peuvent reproduire tranquillement dans leur laboratoire les phénomènes observés dans l’espace. En clair, ils font des sondages : « Bonjour Madame lentille gravitationnelle, il y a-t-il des variations d’éclat dans les images que vous produisez ? ».

Ils accumulent les données, comparent les résultats, puis en tirent des conclusions, tout en précisant leur marge d’erreur. Quand un grand nombre de données convergent vers un résultat moyen, les chercheurs sont fondés à parler d’argument statistique en faveur de ce résultat. Mais en l’occurrence est-ce vraiment le cas, alors que l’étude a porté sur seulement sept lentilles gravitationnelles ? Le « panel » de galaxies paraît bien faible pour tirer de si vastes conclusions.

Enfin, à supposer que ces galaxies naines sombres et froides existent, et qu’elles soient bien responsables des variations de luminosité constatée, les calculs de Dalal et Kochanek indiquent qu’elles ne contribueraient que pour… 2% à la masse manquante de la galaxie-mère. On est très loin du compte. Froide et sombre ou exotique et chaude, la masse n’a pas fini de nous manquer.

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