Comment font les astronautes pour bien s’entendre ?

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Karen Miller
traduction de Didier Jamet
22 OCTOBRE 2002

Les actuels membres d’équipage de la Station Spatiale Internationale Sergueï Treschev, Peggy Whitson et Valery Korzun participent aux études de Kanas. Un tel équipage reste typiquement entre 4 et 6 mois sur orbite.
Les actuels membres d’équipage de la Station Spatiale Internationale Sergueï Treschev, Peggy Whitson et Valery Korzun participent aux études de Kanas. Un tel équipage reste typiquement entre 4 et 6 mois sur orbite.

Nasa Spaceflight

Les astronautes sont généralement des gens posés et doués de bonnes capacités relationnelles. Mais passer 6 mois dans un habitacle restreint à voir toujours les mêmes têtes peut rendre fou n’importe qui.

Première partie

« Avant, je procédais à l’évaluation de candidats astronautes », raconte le psychiatre Nick Kanas. « Je leur demandais de me donner quelques exemples de situations qui auraient pu engendrer un stress. »

Un candidat, un pilote d’essai, lui raconta alors la fois où, testant un appareil expérimental, ce dernier entra dans une vrille incontrôlée. Tandis que l’avion descendait vers le sol en spirale, il sortit son manuel, le compulsa avec calme, et y trouva la façon de tirer l’appareil de ce mauvais pas.

« Sa capacité à maîtriser ses émotions à un moment donné était vraiment stupéfiante, » sourit Kanas.

Les astronautes gèrent le stress beaucoup mieux que la plupart d’entre nous. Pour eux, c’est une nécessité, car les périls ne sont jamais loin : bouffées de radiations, débris spatiaux, risques à l’atterrissage – ou plus prosaïquement une nouvelle liste de tâches à exécuter envoyée par le contrôle au sol. Et tout ça en même temps.

Et puis vient le stress lié au fait d’être confronté à d’autres individus.

Les équipages spatiaux doivent vivre et travailler ensemble dans un espace restreint 24 heures sur 24, parfois pendant des mois. Ils sont également loin et de leurs foyers et de leurs familles, ce qui signifie qu’ils peuvent à la fois ressentir un sentiment de solitude et de promiscuité. Ça peut suffire à rendre fou n’importe qui.

Kanas, professeur de psychiatrie à l’Université de Californie et exerçant au Veteran Hospital de San Francisco, étudie la façon dont les astronautes se comportent dans ces situations éprouvantes.

Ses recherches débutèrent avec le programme Mir-navette dans les années 90, et à présent il travaille avec l’équipage de la Station Spatiale Internationale. Dans le cadre de l’étude, appelée interactions entre membres d’équipage et avec le sol durant les missions de la station spatiale internationale, astronautes et cosmonautes répondent à des questionnaires hebdomadaires fournis par Kanas et qui concernent leur humeur, leurs sentiments et leur vie quotidienne en orbite.

Des études précédentes ont déjà révélé des comportements intéressants.

Un exemple : comme le pilote d’essai évoqué précédemment,beaucoup de ceux qui vont dans l’espace sont capables de ne pas se laisser submerger par leurs émotions quand c’est nécessaire. C’est une caractéristique très appréciable, non seulement pour les astronautes, mais également pour, disons, les chirurgiens et les pompiers, car cela aide à entreprendre les gestes requis.

« Le problème », dit Kanas, « c’est que si vous refoulez vos émotions durant des mois, ça peut vous miner. » Toute la difficulté consiste à être capable de maîtriser vos émotions tant que vous êtes en situation d’urgence, puis de réussir à vous détendre suffisamment pour exprimer vos sentiments une fois passée la phase critique.

Les astronautes en général savent assez bien quand réprimer leurs sentiments, et quand les laisser s’exprimer. « Seulement il arrive que [dans l’espace], il subissent une telle pression qu’ils ne puissent jamais décompresser, » dit-il.

Quand ça se produit, les astronautes s’adressent de moins en moins la parole. Après des mois de vie commune, ils peuvent s’exaspérer les uns les autres. La tension monte. Une façon de faire baisser cette tension est de se défouler sur les contrôleurs au sol.

On appel cela un « déplacement », et c’est une façon très courante d’évacuer le stress. Les gens font ça tout le temps, par exemple en hurlant sur leurs enfants plutôt que sur leur patron.

Le déplacement offre le moyen de faire baisser la tension à court-terme. Mais ça n’est pas bon pour la famille, et ça ne règle pas le problème.

« Nous avons découvert que quand les membres d’équipage se plaignent d’un stress important, cela correspond en fait à des périodes où ils ressentent un manque de soutien de la part des contrôleurs. »

De la même manière, quand les contrôleurs au sol sont stressés, c’est qu’ils perçoivent un manque de soutien de la part de leurs chefs. Déplacement là encore. A la longue le déplacement est néfaste, car il laisse les vrais problèmes s’envenimer.

Les problèmes qui surgissent durant un séjour de quelques mois à bord de l’ISS ne sont probablement rien en comparaison de ce qui risquerait d’arriver lors d’un voyage vers Mars. C’est l’objet de la deuxième partie de cet article, "Mars, un si long voyage" (lien ci-dessous)

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