Tempêtes sur la Lune

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Trudy E. Bell
traduction de Didier Jamet
8 DECEMBRE 2005

La boîte blanche au premier plan est le contenant de l’expérience LEAM, installée sur la Lune en 1972.
La boîte blanche au premier plan est le contenant de l’expérience LEAM, installée sur la Lune en 1972.

Nasa

Une expérience installée sur la Lune à l’époque des missions Apollo a fourni aux chercheurs des indices sur un bien surprenant phénomène qui semble se produire sur la ligne de partage entre le jour et la nuit lunaire. La fin du mystère des phénomènes lunaires transitoires ?

Sur la Lune, tous les matins, c’est à dire tous les 14 jours terrestres, lorsque le Soleil darde ses premiers rayons sur le sol recouvert de poussières après deux semaines d’une nuit glaciale, une bien étrange tempête se lève à la surface de l’astre des nuits.

La prochaine fois que vous verrez la Lune dans le ciel, ce soir par exemple, suivez du doigt, au bout de votre bras tendu, le Terminateur, la ligne qui sépare la partie éclairée de la Lune de celle restant dans l’ombre. C’est la que se lève la tempête. En fait, cette tempête n’a rien à voir avec celles que nous connaissons sur Terre. C’est une longue et étroite bande de poussières qui s’étire tout au long du terminateur, du pôle lunaire nord au pôle sud. Elle ondule à la surface de la Lune, accompagnant le terminateur tandis que le Soleil levant balaie lentement et inlassablement la surface lunaire.

Vous n’en avez jamais entendu parler ? Vous n’êtes pas seul dans ce cas. Mais les scientifiques sont de plus en plus certains de la réalité de ces tempêtes d’un genre bien particulier.

Des indices très concluants en ont notamment été fournis par une vieille expérience remontant aux missions Apollo, LEAM, l’acronyme de " Lunar Ejecta And Meteorites ", soit en français " Météorites et Ejectas Lunaires ".

" Ce sont les astronautes de la mission Apollo 17 qui ont déployé LEAM sur la Lune en 1972 " nous explique Timothy Stubbs, de la division " exploration du Système Solaire " du centre spatial Goddard de la Nasa. " Elle a été conçue pour étudier la poussière soulevée par les petits météoroïdes frappant la surface lunaire. "

Il y a des milliards d’années de cela, des météoroïdes frappaient presque incessamment la Lune, pulvérisant les roches de surface dont les débris poussiéreux se sont accumulés sur le sol. C’est naturellement de là que vient toute la poussière que l’on rencontre sur les premiers centimètres de la surface lunaire. Aujourd’hui, les impacts sont beaucoup moins nombreux, mais il y en a toujours.

À l’époque des missions Apollo, les scientifiques souhaitaient connaître la quantité quotidienne de poussières soulevée par les impacts quotidiens, ainsi que leurs propriétés. LEAM devait répondre à ces questions grâce à trois capteurs qui enregistraient la vitesse, l’énergie et la direction de ces minuscules particules. Un de ces capteurs était dirigé vers le haut, et les deux autres respectivement vers l’est et l’ouest.

Il se trouve que les données récoltées par LEAM furent si étranges qu’elles sont aujourd’hui à nouveau examinées par plusieurs groupes indépendants de chercheurs de la Nasa mais aussi d’universitaires. Gary Olhoeft, professeur de géophysique à l’école des mines de Golden, au Colorado, est l’un d’eux.

" À la surprise générale, LEAM enregistra la présence d’un grand nombre de poussières lors de chaque matin lunaire, provenant de préférence de l’est ou de l’ouest, en tous les cas nettement plus que du dessus ou du dessous, et tout aussi nettement moins rapides que ce que l’on était en droit d’attendre de poussières projetées par un impact. "

Quelle pouvait bien être la cause d’un tel phénomène ? Stubb a sa petite idée : " La portion éclairée de la surface lunaire est chargée positivement, et la partie plongée dans la nuit est en revanche chargée négativement. À la frontière mouvante entre les deux régions, les poussières chargées électrostatiquement seraient poussées latéralement par des champs électriques horizontaux à l’avance du terminateur. "

Plus surprenant encore :" Quelques heures après chaque lever de Soleil lunaire, la température du bloc expérimental montait si haut (près de 100 °, la température de l’eau bouillante) qu’il fallait désactiver LEAM pour éviter la surchauffe. Cette dernière observation insolite pourrait signifier que la poussière lunaire électriquement chargée se collait au boîtier de LEAM, assombrissant sa surface au point de lui faire absorber le rayonnement solaire au lieu de le réfléchir ", spécule Olhoeft.

En réalité, personne n’en a la preuve formelle : LEAM ne resta opérationnelle que très peu de temps. Seules 620 heures de données furent recueillies durant la glaciale nuit lunaire, et à peine 150 heures pendant les torrides journées. Puis les capteurs furent désactivés, et le programme Apollo prit fin.

LEAM n’a sans doute pas été la seule à être témoin de ces tempêtes de poussières. Les astronautes aussi. En orbite autour de la Lune, les équipages des missions Apollo 8, 10, 12 et 17 ont réalisé des croquis de " bandes " ou de " rayons crépusculaires " au travers desquels la lumière solaire était apparemment filtrée par de la poussière située au-dessus de la surface lunaire. Cela se produisait avant chaque lever ou coucher de Soleil sur la Lune. Les sondes lunaires Surveyor ont également photographié de crépusculaires " lueurs " à l’horizon, très semblables aux témoignages rapportés par les astronautes.

Certains avancent même l’idée selon laquelle ces tempêtes pourraient être visibles depuis la Terre. Depuis des siècles, des astronomes rapportent avoir observé d’étranges lueurs sur la Lune, regroupées sous le terme générique de " phénomènes lunaires transitoires ". Certains de ces phénomènes présentent en effet un aspect très fugitif, prenant la forme de brefs éclairs que l’on attribue généralement à des impacts de météoroïdes sur le sol lunaire. Mais d’autres sont beaucoup plus difficilement explicables, comme des lueurs rougeâtres ou blanchâtres, évoquant même parfois l’aspect d’un banc de brume aux contours changeants, et qui peuvent rester visibles pendant plusieurs minutes. Les premières tentatives d’explication de ces phénomènes, qui n’ont jamais convaincu personne, allaient d’émanations de gaz volcaniques jusqu’à de prétendues activités d’entités extraterrestres, en passant plus généralement par la trop grande imagination des observateurs...

Mais une nouvelle explication scientifique gagne actuellement du terrain. " Il se pourrait bien que tous ces phénomènes lunaires transitoires soient en fait dus aux reflets de la lumière solaire sur les panaches de poussières lunaires soulevées électrostatiquement " suggère Olhoeft.

Bien sûr, cette éventualité ne laisse pas la Nasa indifférente dans la mesure où, d’ici 2018 environ, elle aura renvoyé des astronautes sur la Lune. Contrairement à ceux des missions Apollo, qui menèrent toutes leurs opérations au cours d’un seul et même jour lunaire, les nouveaux explorateurs lunaires vont y établir une base permanente. Et au petit matin, ils seront sur le terrain lorsque se lèvera la tempête. Le mur de poussière qui en résulte, si tant est qu’il existe bel et bien, est peut être si fin qu’il est en réalité quasiment invisible, en tous les cas sans danger. Ou peut être pas... Peut-être est-il capable d’encrasser les combinaisons et les parois des installations au point de les mener à la surchauffe, comme cela semblait être le cas pour LEAM.

Quelle peut bien être la réponse ?

Celle de Stubbs a le mérite de la franchise : " La Lune a encore bien des choses à nous apprendre "...

Quelques liens pour aller plus loin

L’expérience LEAM

Les étranges lueurs observées par Clémentine

Les phénomènes lunaires transitoires

Les phénomènes lunaires transitoires de 1540 à 1969

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