La Grande Tache Sombre

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
17 MARS 2003

Image composite dans l’ultraviolet prise par Cassini et qui révèle la « Grande Tache sombre » tourbillonnant près du pôle nord de Jupiter. Le tracé bleu délimite la zone aurorale boréale de Jupiter. cliquez sur le lien du crédit pour avoir accès à une animation
Image composite dans l’ultraviolet prise par Cassini et qui révèle la « Grande Tache sombre » tourbillonnant près du pôle nord de Jupiter. Le tracé bleu délimite la zone aurorale boréale de Jupiter. cliquez sur le lien du crédit pour avoir accès à une animation

science @ nasa

Depuis plus d’un siècle, les astronomes pensaient que la Grande Tache Rouge était la plus grande structure observable à la surface de Jupiter. Plus maintenant. Des images du vaisseau Cassini ont révélé quelque chose d’au moins aussi grand : la Grande Tache Sombre.

Tandis qu’il croisait dans les parages de Jupiter, le vaisseau spatial Cassini-Huygens a capturé l’image d’un extraordinaire nuage sombre dans l’atmosphère de la planète géante, grand comme deux fois la Terre.

Bob West, planétologue du Jet Propulsion Laboratory, témoigne : « Quand je l’ai vue pour la première fois, j’ai été littéralement soufflé. Elle prenait la forme d’un sombre nuage grand comme deux fois la Terre, et tourbillonnait autour du pôle nord de Jupiter ».

Cela fait un moment que West est sur la piste de ce nuage. La première fois qu’il l’aperçut, et encore de façon fugitive, ce fut sur une image prise dans l’ultraviolet par le télescope Hubble en 1997. Mais seul problème, dans une série d’images couvrant plusieurs années, il n’apparaissait que sur une seule. « À vrai dire, je ne savais pas quoi en faire » reconnaît-il.

Maintenant il sait. « Cassini, dans son périple vers Saturne, passa en l’an 2000 près de Jupiter avec une vue plongeante sur le pôle nord de la planète » rappelle West.

« À priori il n’y avait rien d’inhabituel, juste quelques nuages polaires très communs. Puis la tache sombre apparut ».

Pendant des semaines, les capteurs UV de Cassini purent observer la croissance du nuage jusqu’à ce qu’il devienne un ovale de la taille de la grande tache rouge elle-même. Il se mit à tourbillonner, s’assombrit et changea de forme jusqu’à ce que, alors que Cassini s’éloignait, il commence à se résorber.

« La tâche sombre est un phénomène éphémère » confirme West. C’est sans doute la raison pour laquelle Hubble ne l’aperçut qu’une fois. Et si Cassini était arrivé sur zone un ou deux mois plus tard, il n’aurait peut-être rien vu du tout. Mais au contraire, les capteurs UV de Cassini ont pu suivre le nuage pendant 11 semaines d’affilée, et ces données ont permis à West de tirer certaines conclusions.

« D’abord, la grande tache rouge et la grande tache sombre ne sont pas produites par les mêmes phénomènes. La grande tache rouge trouve son origine dans la profondeur de l’atmosphère. « C’est un système cyclonique associé à une zone de hautes pressions qui prend naissance dans la troposphère de Jupiter, bien en-dessous du sommet des nuages. La grande tache sombre semble en comparaison beaucoup plus superficielle, et confinée aux couches supérieures de la stratosphère de Jupiter. »

West pense que la tache sombre est un effet secondaire inattendu des aurores polaires que connaît Jupiter.

« Tout comme la Terre, Jupiter est le siège d’aurores polaires. Mais sur Jupiter, l’intensité de ces aurores est des centaines ou des milliers de fois supérieure à ce qu’elle est sur Terre » explique West.

Les aurores surviennent lorsque des électrons et des ions s’abattent sur l’atmosphère polaire, excitant les particules d’air au point d’impact. Ici sur Terre, les aurores sont généralement provoquées par des rafales de vent solaire. Ce dernier peut également déclencher des aurores sur Jupiter, mais la planète géante se débrouille très bien toute seule : elle alimente elle-même les aurores. « Le champ magnétique de Jupiter est un énorme réservoir de particules chargées » explique West. « Ces particules sont accélérées en direction des pôles par la rotation en 11 heures de Jupiter sur elle-même et son champ magnétique. De ce fait, les aurores ne connaissent pratiquement pas d’interruptions sur Jupiter. »

« Les électrons de haute énergie qui frappent l’atmosphère de Jupiter engendrent non seulement des aurores, mais provoquent également la dissociation de molécules de méthane (CH4), proportionnellement plus abondant sur Jupiter que sur Terre » poursuit-il. « les fragments de molécules de méthane se combinent avec l’hydrogène ambiant pour former de l’acétylène (C2H2). C’est la brique élémentaire. L’acétylène à son tour se combine avec d’autres molécules contenant du carbone (et de l’hydrogène) afin de former des molécules encore plus complexes, qui en fin de compte se condensent en gouttelettes sombres. »

Si West a vu juste, la grande tâche sombre serait donc une sorte de brouillard flottant dans les couches supérieures de la stratosphère de Jupiter et constitué de gouttelettes riches en hydrocarbures. Un tel brouillard apparaîtrait de manière flagrante en ultraviolet car les gouttelettes d’hydrocarbures absorbent fortement les rayons ultraviolet. De fait, la grande tâche sombre est indétectable dans le visible.

Suite de cet article : Mieux comprendre le trou dans la couche d’ozone (lien ci-dessous)

Dans notre dictionnaire de l'astronomie...

Le ciel au dessus de Genève avec des nuages, la Lune, Vénus, et un coucher de Soleil.
à lire aussi...
Ciel
L'astronomie débute par l'observation du ciel, qu'elle ne définit pas rigoureusement. Le ciel commence au-dessus de notre tête, regroupant oiseaux et étoiles.
La très mince couche de notre atmosphère bleue, vue depuis la Station Spatiale Internationale en 2015 par l'astronaute Scott Kelly
à lire aussi...
Atmosphère
L'atmosphère est la couche de gaz qui enveloppe une planète ou un satellite naturel ; celle de la Terre nous abrite et contribue à rendre la vie possible
Voici la représentation classique d’un atome d’hélium. Son noyau est constitué de deux neutrons et de deux protons. Il est entouré de deux électrons situés dans le nuage électronique.
à lire aussi...
Electron
à lire aussi...
Cassini - Huygens
énergie | champ magnétique | aurores de Saturne | aurore | atmosphère de Jupiter | astronome | astronome | champ magnétique | aurores de Saturne | aurore | atmosphère de Jupiter