Non, Oumuamua n'est pas une voile solaire extraterrestre

article de Didier Jamet
7 NOVEMBRE 2018

Oumuamua. Est-ce qu\'il a une gueule de voile solaire ? L\'hypothèse d\'étron de diplodocus géant de l\'espace nous paraît beaucoup plus crédible. On peut même vous fournir le détail des calculs si vous voulez...
Oumuamua. Est-ce qu'il a une gueule de voile solaire ? L'hypothèse d'étron de diplodocus géant de l'espace nous paraît beaucoup plus crédible. On peut même vous fournir le détail des calculs si vous voulez...

ESO, M. Kornmesser

Depuis hier, de nombreux articles fleurissent sur la toile évoquant la possibilité qu'Oumuamua, un corps céleste interstellaire qui nous a rendu visite l'an dernier, soit en fait une voile solaire en provenance d'une lointaine civilisation extraterrestre. Rien que ça... Au risque de décevoir la frange de notre lectorat la plus avide de sensationnel, on doit vous avouer qu'on est assez sceptiques...

Le fait au fond le plus gênant avec cette histoire qu'on pourrait croire bricolée de toutes pièces par le pire des tabloïds anglais (il y a bataille entre le Daily Mail et le Sun), c'est qu'elle s'appuie sur un article de chercheurs travaillant pour la prestigieuse université d'Harvard, une référence en matière scientifique. Pourtant, pour arriver à cette conclusion, l'article ne manque pas de recourir à d'étonnants raccourcis, très éloignés des principes fondamentaux de la démarche scientifique tels que le fameux rasoir d'Ockham, encore appelé principe d'économie, et que l'on pourrait résumer comme suit : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple.

Intéressons nous donc de plus près à cet article scientifique dont le titre, traduit en français, est : ''La pression de radiation solaire pourrait-elle expliquer l'étrange accélération d'Oumuamua'' ? Jusqu'ici, tout va bien. Rappelons en effet que fin juin 2018, plusieurs études ont montré que ce visiteur interstellaire, dont on ne savait alors pas trop si c'était une comète ou un astéroïde, avait très légèrement accéléré au cours de sa traversée du Système solaire. Au final, Oumuamua s'était retrouvé à 40 000 km du point où il aurait dû se trouver s'il était resté passivement soumis à la seule influence gravitationnelle du Soleil. Quelque chose l'a donc accéléré. Et ce quelque chose est très vraisemblablement un phénomène de dégazage, comme en connaissent tous les noyaux de comètes à l'approche du Soleil.

La comète Chury prise en flagrant délit de dégazage. Malheureusement, on n\'avait rien d\'assez rapide sous la main pour obtenir le même genre d\'image d\'Oumuamua.
La comète Chury prise en flagrant délit de dégazage. Malheureusement, on n'avait rien d'assez rapide sous la main pour obtenir le même genre d'image d'Oumuamua.

Crédit : ESA

C'est ce qu'on appelle les effets non gravitationnels, qui compliquent toujours un peu les prévisions de trajectoire des comètes. Et on apprenait au passage qu'Oumuamua était bien, comme envisagé depuis le début, un noyau cométaire, mais issu d'un autre système solaire que le nôtre. Alors, fin de l'histoire ? Pour les scientifiques sérieux et conséquents, oui. Pour Bialy et Loeb, il y avait manifestement un moyen simple de faire parler d'eux, juste en faisant très compliqué et en faisant semblant d'ignorer tout ce que la communauté astrophysique savait déjà.

C'est vrai, une ambiguïté subsiste avec l'hypothèse cométaire d'Oumuamua : on n'a pas pu mettre en évidence visuellement de phénomène de dégazage autour de l'objet. L'explication tient certainement au fait qu'il n'a pas été observé dans les bonnes longueurs d'onde pour cela : les poussières émises étaient vraisemblablement d'une taille beaucoup plus grosse que celles de nos comètes classiques, les petites poussières ayant sans doute été lessivées par la traversée du milieu interstellaire pendant des millions d'années. Et de façon contre intuitive, plus les poussières sont grosses, moins elles sont observables dans le visible. À de telles distances, en dessous du mètre, on ne voit bien que ce qui a une taille comparable à la longueur d'onde dans laquelle on l'observe. Donc pour observer les probables grosses poussières émises par Oumuamua, il aurait fallu d'intenses campagnes d'observation dans le domaine des ondes radio, disons de 3 à 300 gigahertz, plutôt que dans le visible ou le proche infrarouge comme ce qui a été fait. Et maintenant, il est de toutes façons trop tard pour mener de telles observations, Oumuamua est trop loin et on ne verrait plus rien.

Mais pour Bialy et Loeb, si on n'observe pas d'activité cométaire autre que l'accélération, c'est que c'est peut-être la pression de radiation solaire qui en est responsable. Au fond, rien n'interdit de se poser la question. Ils entreprennent alors une série de calculs assez élémentaires, et découvrent rapidement que pour être effectivement accéléré comme il l'a été, Oumuamua devrait ne pas être plus épais qu'une feuille de moins d'un millimètre d'épaisseur. Logiquement, leur recherche devrait s'arrêter là, car seule une voile solaire pourrait être aussi fine. Soutenir qu'Oumuamua, dont on sait qu'il vient d'un autre système solaire, est une voile solaire revient à dire, très tranquillement, qu'il provient d'une civilisation extraterrestre technologiquement avancée... Rien que ça. A vrai dire, ajoutant la faux-culterie à la mauvaise foi, les auteurs veulent bien envisager qu'un processus naturel puisse produire un matériau aussi fin, mais ''au travers d'un processus encore inconnu''. On ne leur fait pas dire...

Au final, il nous semble qu'un tel article prétendument scientifique n'aurait jamais dû voir le jour au travers d'un processus un tant soit peu solide de révision par les pairs. C'est de la pure science-fiction, pas de la science. Paraphrasant Paul Valéry, nous pourrions dire ''Que de choses il fallait feindre d'ignorer pour produire un tel article !''

Par son indiscutable origine interstellaire, Oumuamua demeure un objet absolument fascinant en lui-même. Il n'était vraiment pas nécessaire d'en rajouter dans le sensationnel, surtout au travers d'un canal scientifique institutionnel. Si des scientifiques se mettent à en produire au travers des canaux les plus prestigieux, les infox ont, décidément, de très beaux jours devant elles.

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