Novarupta, ou comment l’Inde est peut-être sous la menace d’un volcan arctique.

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Trudy E. Bell
traduction de Didier Jamet
5 OCTOBRE 2006

Vue aérienne du dôme de Novarupta réalisée le 29 juillet 1987
Vue aérienne du dôme de Novarupta réalisée le 29 juillet 1987

Gene Iwatsubo, USGS

En juin 1912, Novarupta, un des volcans de la chaîne volcanique de la péninsule de l’Alaska, entra en éruption, marquant le début de ce qui allait devenir la plus grande explosion du 20e siècle. L’éruption fut si violente qu’elle draina même le magma situé sous un autre volcan distant de 10 kilomètres plus à l’Est, le mont Katmai.

La dépression consécutive dans la chambre magmatique fit s’effondrer le sommet du Katmai et engendra une caldeira de 800 mètres de profondeur. Novarupta vomit près de 5 kilomètres cube de magma et de cendres dans les airs, qui recouvrirent d’une couche de plus de 30 centimètres d’épaisseur une superficie de près de 5000 kilomètres carrés.

En dépit du fait que l’éruption fut à la fois comparable en intensité à l’éruption beaucoup plus célèbre du Krakatoa dans le Pacifique Sud en 1883 et très proche des Etats-Unis, elle passa presque inaperçue à l’époque car personne ne parlait l’anglais dans cette région très excentrée.

Presque un siècle plus tard, les scientifiques s’y intéressent enfin. Novarupta se trouve près du cercle arctique, et son éventuel impact sur le climat semble assez différent de celui d’un volcan tropical " ordinaire ", du moins si l’on en croit les récents travaux de climatologues utilisant un modèle informatique développé par la Nasa.

Lorsqu’un volcan entre en éruption quelque part dans le monde, il ne se contente pas de cracher des nuages de cendres, lesquels peuvent masquer les rayons du Soleil sur de vastes régions et y entrainer une baisse des températures pendant quelques jours. Il vomit également dans l’atmosphère du dioxyde de soufre, un gaz irritant pour les poumons et qui sent l’œuf pourri. Si l’éruption a une direction essentiellement verticale, le dioxyde de soufre peut atteindre une altitude de plus de 16 kilomètres, soit largement dans la stratosphère.

Une fois dans la stratosphère, le dioxyde de soufre réagit avec la vapeur d’eau pour former des aérosols sulfatés. Ces aérosols se trouvant au-dessus des nuages qui donnent de la pluie, ils ne sont pas lessivés par cette dernière. Ils s’y prélassent, réfléchissant la lumière du Soleil et contribuant au refroidissement de la surface terrestre.

Cela peut engendrer une sorte d’hiver nucléaire (en l’occurrence il s’agit plutôt d’un hiver volcanique) pendant l’année qui suit l’éruption . En avril 1815 par exemple, le Tambora, en Indonésie, entra en éruption. L’année d’après, en 1816 donc, fut appelée " l’année sans été ", durant laquelle la neige tomba un peu partout aux Etats-Unis en plein mois de juillet. Et même l’éruption nettement moins spectaculaire du Pinatubo en 1991 aux Philipines, fit baisser la température moyenne de l’hémisphère nord bien en dessous de la normale en 1992.

Mais tous ces volcans, comme le Krakatoa, se situaient dans la ceinture tropicale.

Novarupta se trouve quant à lui juste au sud du cercle polaire arctique.

À l’aide d’un modèle informatique extrêmement détaillé de l’atmosphère terrestre mis au point par la Nasa au Goddard Institute for science studies (GISS), le professeur Robock, spécialiste en sciences atmosphériques de l’Université Rutgers, s’est rendu compte du fait que les effets du Novarupta sur le climat mondial auraient été fort différents.

Robock s’explique : " la circulation moyenne dans la stratosphère s’effectue de l’équateur vers les pôles. Aussi les aérosols crachés par les volcans tropicaux ont-ils tendance à se répandre équitablement au-dessus de toutes les latitudes de part et d’autre de l’équateur. " En clair, ils se répartissent sur le globe de façon à peu près homogène.

Mais le modèle climatique de la Nasa a montré que les aérosols libérés par un volcan arctique tel que Novarupta auraient tendance à rester au dessus du 30eme parallèle nord, soit pas plus au sud que les Etats-Unis ou l’Europe. Et naturellement, ils ne se mélangeraient que très lentement avec le reste de l’atmosphère.

Bizarrement, ce goulot d’étranglement boréal pour les aérosols de Novarupta ferait sentir ses effets en Inde. Toujours selon le modèle, l’éruption du Novarupta affaiblirait la mousson d’été, entraînant un été " anormalement chaud et sec dans le nord de l’Inde " avance Robock.

Pourquoi en Inde ? Le refroidissement de l’hémisphère nord engendré par les aérosols de Novarupta déclencherait une réaction en chaîne sur les températures de surface des continents et des océans, qui à leur tour influeraient sur les flux d’air au-dessus de l’Himalaya, pour finir par affecter les nuages et donc les précipitations au-dessus de l’Inde.

En réalité, le processus est d’une complexité diabolique, et c’est pourquoi seuls des superordinateurs peuvent faire tourner ce modèle.

Pour confronter les résultats de cette simulation à la réalité, Robock et son équipe examinent actuellement les données sur les débits des cours d’eau en Asie, en Inde et en Afrique au cours de l’année 1913, l’année qui suivit l’éruption de Novarupta. Ils s’intéressent également aux conséquences d’autres éruptions survenues aux hautes latitudes au cours des siècles passés.

Les Indiens doivent-ils surveiller de près les volcans arctiques ? C’est en tout cas ce qu’affirment les superordinateurs du GISS.

Pour approfondir le sujet (liens vers des sites en anglais)

L’article original de Robock

Eruptions volcaniques et climat

Bibliographie détaillée concernant Novarupta

Institut Goddard pour les études spatiales.

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