Etrange clair de Lune

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
2 OCTOBRE 2006

La lune des moissons de 2005 vue depuis Pobra do Caramiñal, en Galice, Espagne.
La lune des moissons de 2005 vue depuis Pobra do Caramiñal, en Galice, Espagne.

Sr. Fins Eirexas

Il n’y a pas si longtemps de cela, avant la généralisation de l’éclairage électrique, les agriculteurs comptaient sur le clair de Lune pour mener à bien leurs moissons d’automne. Avec tout ce qui arrivait à maturité simultanément, il était hors de question d’arrêter le travail au coucher du Soleil. Dans ces circonstances, une brillante pleine Lune était une précieuse alliée. C’était ce qu’on appelait alors, et encore aujourd’hui, " la lune des moissons ".

Si le clair de Lune était le bienvenu, il produisait des phénomènes pour le moins étranges. Lesquels ? Il se trouve que vous pourrez en faire vous même l’expérience le 6 octobre prochain, date de la lune des moissons 2006. Voici un récapitulatif des phénomènes étonnants que vous pourrez observer avec un minimum d’attention.

1) Le clair de Lune vole les couleurs de tout ce qu’il touche. Prenez une rose rouge par exemple. Le clair de Lune l’éclaire brillamment au point qu’elle projette une ombre. Mais le rouge est parti, remplacé par des nuances de gris. En fait, c’est vrai de tout le paysage. C’est un peu comme si vous observiez le monde au travers d’une vieille télévision en noir et blanc.

Certains " jardins de Lune " parviennent à tirer avantage de ces caractéristiques du clair de Lune. On y trouve des variétés de fleurs blanches qui s ‘épanouissent à la nuit tombée, et sont donc à la fois parfumées et éclatantes sous la lumière de la pleine Lune. Les variétés favorites pour ces jardins nocturnes sont les mirabilis jalapa, encore appelée " belle de nuit ", les Spathiphyllum hybride (la bien nommée " fleur de Lune "), ou encore brugmansia arborea. Mais rarement des roses rouges.

2) Si vous scrutez le paysage suffisamment longtemps, il virera au bleu. Le meilleur endroit pour observer cet effet, appelé le " décalage vers le bleu ", ou " effet Purkinje " d’après le scientifique tchèque du 19e siècle Johannes Purkinje qui fut le premier à le décrire, est un paysage champêtre éloigné de toute pollution lumineuse. Lorsque votre vue se sera parfaitement adaptée aux conditions d’éclairement, le bleu fera son apparition. Dans les films, les réalisateurs placent souvent un filtre bleu devant l’objectif de la caméra pour donner aux scènes de nuit un aspect plus naturel. Les artistes peintres rajoutent eux aussi un peu de bleu à leurs tableaux pour la même raison. Cependant si vous regardez la Lune, il est évident qu’elle n’est pas bleue.

3) Le clair de Lune ne vous permettra pas de lire. Ouvrez un livre sous la pleine Lune. Au premier abord, il semble que la page soit suffisamment éclairée pour vous permettre de lire. Cependant lorsque vous essayerez de déchiffrer les mots, vous n’y parviendrez pas. Qui plus est, si vous fixez un mot trop longtemps, il se peut qu’il finisse par disparaître. Non content de brouiller votre vue, le clair de Lune aveugle le centre de vos yeux (pas chez tout le monde cependant, comme toujours il y a des exceptions).

Tout ceci est très étrange, surtout lorsqu’on sait que le clair de Lune n’est rien de plus exotique que la lumière du Soleil réfléchie par la poussiéreuse surface de la Lune. La seule différence tient à l’intensité de cette lumière. Le clair de Lune est 400 000 fois moins lumineux que l’éclairage solaire direct.

Alors, comment ces phénomènes étranges peuvent-ils bien apparaître ? La réponse se trouve dans nos yeux. C’est l a rétine qui en est responsable.

La rétine est une sorte d’appareil photo numérique organique qui serait composé de deux sortes de pixels : les bâtonnets et les cônes. Les cônes nous permettent de percevoir les couleurs (le rouge des roses) et les détails les plus fins (les mots imprimés dans un livre), mais ils ne fonctionnent qu’en pleine lumière. Une fois la nuit tombée, ce sont les bâtonnets qui prennent le relais.

Les bâtonnets sont remarquablement sensibles, 1000 fois plus que les cônes. Selon certaines études, les bâtonnets peuvent capter un signal lumineux constitué d’un seul photon ! Les bâtonnets n’ont qu’un seul inconvénient : ils ne voient pas les couleurs. La nuit, toutes les roses sont grises.

Si les bâtonnets sont si sensibles, pourquoi ne les utilisons nous pas pour lire au clair de Lune ? Le problème, c’est qu’ils sont quasi absents de la région centrale de la rétine appelée fovéa, laquelle est requise par le cerveau pour la lecture. La fovéa est pleine de cônes de façon à ce que nous puissions percevoir les détails de notre environnement en plein jour, ce qui correspond à nos besoins d’être vivants à l’activité essentiellement diurne. Lorsque vient la nuit, la fovéa devient à peu près aveugle, et la seule vision qui nous reste est périphérique et tout à fait inadaptée à la lecture.

Soit. Et le décalage vers le bleu alors, d’où vient-il ?

Voici un extrait d’un numéro paru en 2004 du Journal of vision :

" Il convient de noter que la perception de la couleur bleue ou de n’importe quelle autre couleur dans un environnement uniquement éclairé par la Lune est pour le moins surprenante, considérant que dans de telles circonstances, l’intensité lumineuse est sous le seuil de détection des cellules cônes. Par conséquent, si les cônes ne sont pas stimulés, comment se fait-il que nous percevions cette couleur bleue ? "

Les auteurs de cette étude, Saad M. khan et Sumanta N. Pattanik de l’université de centre Floride, proposent une explication bio-électrique. Les signaux que percevraient les bâtonnets diffuseraient vers les cônes les plus proches d’eux, plus particulièrement sensibles au bleu. Il y a en effet trois types différents de cônes, chacun étant sensible à une couleur différente, rouge, vert, ou bleu. " Malheureusement " remarquent cependant les auteurs, " les preuves physiologiques directes qui permettraient de vérifier cette hypothèse ne sont pas encore disponibles ".

La Lune des moissons garde donc une partie de ses mystères…. Etudiez-les de vos propres yeux le 6 octobre !

Quelques liens pour approfondir le sujet (en anglais)

Etude de l’armée de l’air américaine sur la vision nocturne

Organisation de la rétine et du système visuel

Le décalage Purkinje

Cônes et bâtonnets

Rendus nocturnes

Que voient les chiens ?

La vue, comment ça marche ?

cerveau | coucher de soleil | cerveau | coucher de soleil