article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
22 SEPTEMBRE 2006
Presque chaque jour, les immenses antennes du réseau " Deep Space " de la Nasa sont braquées en direction de la constellation du Serpentaire. Semblant pointer dans le vide, elles recueillent pourtant invariablement un signal, très ténu mais incontestablement d’origine intelligente. Ce signal prend sa source bien au-delà de Neptune, plus loin encore que Pluton, aux portes des étoiles elles-mêmes.
Cette source n’est autre que le vaisseau spatial Voyager 1. Il a quitté la Terre en 1977 avec pour mission le survol de Jupiter et de Saturne. Presque 30 ans plus tard, alors que les géantes gazeuses sont pour lui de l’histoire ancienne, Voyager 1 poursuit sa route et continue de faire d’étranges rencontres.
" Nous venons d’entrer dans une toute nouvelle région de l’espace " confirme Ed Stone, ancien directeur du JPL, le laboratoire qui a fabriqué Voyager 1. " Et le vaisseau nous renvoie des informations très surprenantes ".
Mais avant de révéler ces informations, voyons un peu où se trouve Voyager 1.
Notre système solaire se trouve tout entier plongé au sein d’une gargantuesque bulle de gaz environ 4 fois plus grande que l’orbite de Neptune, soit quelque 36 milliards de kilomètres. C’est le Soleil qui est à l’origine de cette bulle. Il la gonfle par le biais du vent solaire. Depuis que Voyager 1 a quitté la Terre en 1977, il a parcouru tout le chemin depuis le cœur de la bulle jusqu’à son enveloppe extérieure. Les astronomes appellent la bulle " l’héliopshère " et l’enveloppe extérieure de cette bulle " l’héliogaine ".
Voyager 1 se trouve actuellement à environ 16 milliards de kilomètres du Soleil, dans l’héliogaine.
" Vous pouvez reproduire une héliogaine dans l’évier de votre cuisine " assure Stone. " Ouvrez tout doucement le robinet de sorte qu’un mince filet d’eau s’en écoule et regardez ce qui se passe dans l’évier. Là où le filet d’eau rencontre le fond de l’évier, c’est le Soleil. À partir de ce point, l’eau se disperse sous la forme d’une mince pellicule parfaitement circulaire. Ça, c’est le vent solaire. Au fur et à mesure que l’eau (ou le vent solaire) s’étend, la pellicule devient de plus en plus fine, et la pression qu’elle exerce vers l’extérieur n’est plus si forte. Brusquement, un anneau turbulent se forme. Cet anneau, c’est l’héliogaine. "
C’est exactement là que se trouve actuellement Voyager 1.
" L’héliogaine joue un rôle important pour les humains " poursuit Stone. " Elle contribue à nous protéger des rayons cosmiques galactiques ". Les rayons cosmiques galactiques sont des particules subatomiques accélérées à des vitesses proches de celle de la lumière lors d’explosions de supernovae ou au voisinage des trous noirs. Dans l’espace, les astronautes sont exposés à ces particules, et ce n’est pas très bon pour leur santé. Les rayons cosmiques peuvent pénétrer les chairs et endommager l’ADN. Fort heureusement, l’héliogaine dévie beaucoup des plus dangereux de ces rayons cosmiques avant qu’ils n’atteignent le cœur du système solaire. " les turbulences magnétiques de l’héliogaine obligent ces particules à spiraler au loin sans nous menacer ". En fait, elle ne les arrête pas toutes, loin de là. Mais elle contribue à réduire significativement le nombre de celles qui parviennent à se frayer un chemin jusqu’à nous. Nous avons à notre disposition de nombreuses protections contre les rayons cosmiques, depuis les fines parois des vaisseaux spatiaux jusqu’aux massives atmosphères planétaires. Mais l’héliogaine est en quelque sorte notre " première ligne de défense ", ce qui la rend précieuse pour nous.
Du fait de ce rôle primordial dans la protection du système solaire, " nous avons besoin de connaître tout ce qu’il est possible de savoir au sujet de l’héliogaine " confirme Stone. De quoi est-elle faite ? Comment s’assemble-t-elle ? " Voyager 1 nous en offre un premier aperçu ".
Alors, ces surprises, quelles sont elles ?
Un champ magnétique qui connaît des hauts et des bas : de temps à autre, Voyager 1 traverse des zones de " calme plat " où le champ magnétique de l’héliogaine devient quasi inexistant, passant d’une valeur habituelle de 0,1 nano Tesla (nT) à 0,01 ou moins encore. Mais il y a aussi certaines zones où au contraire, le champ magnétique connaît un rebond, atteignant deux fois la normale, soit 0,2 nT. Ces montagnes russes du champ magnétique sont une forme de turbulence inattendue. Quel rôle jouent-elles dans la dispersion des rayons cosmiques ? " Nous sommes en train de l’étudier " confirme Stone.
Un vent solaire à bout de souffle : dans l’héliogaine, le vent solaire est beaucoup moins rapide qu’on ne le pensait auparavant. " On s’attendait bien à ce que le vent ralentisse, comme l’eau dans l’évier, mais pas si brutalement. " Jusqu’ici les modèles tablaient sur une vitesse comprise entre 320 000 et 480 000 km/h pour les particules de vent solaire arrivées à la hauteur de l’héliogaine. Voyager ne les flashe qu’à 55 000 km/h. " Cela signifie que nos modèles informatiques ont besoin d’être améliorés … " reconnaît Stone.
Des rayons cosmiques anormaux : " ici, une petite explication préalable est nécessaire " précise Stone. " Si l’héliogaine nous protège bel et bien d’une partie des rayons cosmiques galactiques, elle produit dans le même temps ses propres rayons cosmiques. Les ondes de choc qui se propagent sur la face interne de l’héliogaine cèdent une partie de leur énergie à des particules subatomiques qui filent alors à toute allure comme d’authentiques rayons cosmiques vers l’intérieur du système solaire. " Nous les qualifions de rayons cosmiques anormaux. Ils ne sont pas aussi dangereux que les rayons cosmiques galactiques car ils sont porteurs d’une énergie bien moindre. "
Les chercheurs s’attendaient à ce que Voyager 1 croise l’essentiel de ces rayons cosmiques anormaux au niveau de la paroi interne de l’héliogaine, " car nous pensions que c’était là qu’ils étaient produits. Mais surprise là encore, Voyager a traversé cette zone en août 2005 sans constater d’augmentation notable du nombre de rayons cosmiques anormaux. Ce n’est qu’à présent, près de 500 millions de kilomètres plus tard, que leur densité commence à augmenter.
" C’est très intrigant " affirme Stone. " D’où peuvent bien provenir ces rayons cosmiques anormaux ? "
Voyager 1 en trouvera peut-être la source dans la suite de son périple. L’héliogaine fait probablement 4 à 6 milliards de kilomètres d’épaisseur , et Voyager mettra encore une dizaine d’années à achever de la traverser. C’est un bien vaste nouveau territoire à explorer, et nous ne sommes sans doute pas au bout de nos surprises.