À la recherche des chaînes de cratères sur Google Earth

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
16 MAI 2006

Aorounga Sud vu depuis l\'espace.
Aorounga Sud vu depuis l'espace.

Nasa

Alors que les fragments de la comète désintégrée 73P/Schwassmann Wachmann 3 glissent à quelques encablures de la Terre sans aucunement la menacer, c’est le moment ou jamais de se poser la question: que se passerait-il si un tel “collier de perles” cosmique venait à frapper notre planète ? Et vous, parviendrez-vous à déceler les cicatrices de tels évènements grâce à Google Earth ?

La réponse à cette question se trouve peut-être dans le désert du Sahara. Dans une lointaine région balayée par les vents et nommée Aorounga, au Tchad, se trouvent trois cratères à la queue leu leu, chacun d’environ 10 km de diamètre. “Nous pensons qu’il s’agit d’une chaîne de cratères, formée par l’impact d’une comète fragmentée ou d’un astéroïde multiple il y a environ 400 millions d’années, à la fin de la période géologique dite du Dévonien” explique Adriana Ocampo, de la direction de la Nasa.

Ocampo et ses collègues ont découvert cette chaîne en 1996. Le cratère principal, “Aoronga Sud”, était connu depuis longtemps. Ses remparts dépassent de la couche de sable qui recouvre la région, et il est bien visible sur les images prises depuis un avion ou par satellite. Mais il avait deux semblables enterrés sous le sable. Ils restèrent ainsi incognito jusqu’à ce que le radar équipant la navette spatiale (SIR-C) pénètre le sol sablonneux et révèle leurs contours irréguliers.

“Sur Terre, les chaînes de cratères sont rares” confirme Ocampo, mais on les rencontre fréquemment ailleurs dans le système solaire.

Les toutes premières chaînes de cratères furent découverte par la sonde spatiale Voyager 1. En 1979, lorsque la sonde survola Callisto, une lune de Jupiter, ses caméras surprirent un alignement de cratères, au moins une quinzaine, avec un intervalle aussi régulier que si quelque céleste céleste mitrailleur avait décoché une rafale à la lune. Au total, huit chaînes de ce type furent trouvées sur Callisto, et trois autres sur Ganymède.

Au premier abord, ces chaînes de cratères constituaient une énigme. Ces cratères étaient-ils d’origine volcanique ? Un astéroïde pouvait-il ricocher à la surface d’une planète comme un galet à la surface de l’eau ?

Le mystère ne fut définitivement résolu qu’en 1993, avec la découverte de la comète Shoemaker-Levy 9. SL-9 n’était pas à proprement parler “une” comète, mais un véritable chapelet de comètes, une chaîne de 21 fragments de comète formée une année auparavant, lorsque la gravité de Jupiter provoqua le démembrement du noyau originel. SL-9 riposta un an plus tard, en venant s’écraser sur la planète géante. Les observateurs terrestres purent alors admirer de titanesques explosions dans l’atmosphère de Jupiter, et il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour visualiser quel aurait été le résultat si Jupiter avait été dotée d’une surface solide: une chaîne de cratères...

Depuis, les astronomes ont compris que les comètes fragmentées et les astéroïdes laches étaient monnaie courante. En vérité, les comètes tombent en morceaux assez facilement, puisque la lumière du Soleil suffit à elle seule pour fracasser leur fragile noyau. Et on a de plus en plus d’indices du fait que des astéroïdes apparemment solides ne sont en fait que de précaires amoncellements de roches et de poussières maintenus ensemble par une très faible gravité. Quand ils percutent, ils se fragmentent et forment des chaînes de cratères.

En 1994, Jay Melosh et Ewen Whitaker annoncèrent la découverte de deux chaînes de cratères sur la Lune. La première, sur le plancher du cratère Davy, est spectaculaire, puisqu’elle prend la forme d’une ligne presque parfaite de 23 cratères, chacun mesurant quelques km de diamètre. Cela suffit à prouver que des chaînes de cratères avaient affecté le système Terre-Lune. Mais sur Terre, on les cherchait toujours.

La Terre a tendance à dissimuler ses cratères. “Pluie et vent les érodent, les sédiments les remplissent, et le recyclage tectonique de la croûte terrestre les raye de la carte” confirme Ocampo. Sur la Lune, on trouve des millions de cratères bien préservés. Sur Terre, “jusqu’à présent on n’en a dénombré que 174”.

Et si c’était un travail pour Google ? Sérieusement. L’astronome amateur Emilio Gonzalez expérimenta la technique le premier en mars 2006. “J’utilise Google Earth” explique-t-il très simplement. Google Earth est cette carte numérique de notre planète fait d’images satellites mises bord à bord. Vous pouvez zoomer dessus, ou au contraire prendre de la hauteur, survoler à votre guise le paysage et l’inspecter dans ses moindres détails. C’est un peu comme un gigantesque jeu vidéo. Sauf que c’est la réalité.

Gonzalez a d’abord voulu voir grâce à Google Earth le cratère de Kebira, en Libye, le plus grand cratère du Sahara. Sur les images, il lui est apparu si évident de le repérer qu’il s’est demandé s’il n’était pas possbile d’en trouver d’autres dans les parages. Quelques minutes plus tard, il “survolait” la frontière entre la Libye et le Tchad lorsqu’un nouveau cratère apparut. Et puis un autre. Il avaient tout deux de multiples anneaux concentriques organisés autour d’un piton central, signe de la fantastique énergie libérée lors de l’impact. “Ça ne peut quand même pas être aussi facile que ça de trouver des cratères” s’enthousiasma-t-il.

Et pourtant si. Au moins un de ces cratères n’avait jamais été repéré auparavant, et les deux, aussi incroyable que cela puisse paraître, étaient parfaitement alignés avec le cratère d’Aorounga, distant de 200 kilomètres. Ainsi, en moins d’une demi-heure, Gonzalez avait trouvé deux excellents candidats pour des sites d’impacts, et peut-être découvert la chaîne de cratères d’Aorounga. Il passa alors de nombreuses heures à chercher frénétiquement d’autres cratères, sans plus rien trouver. “La chance des débutants” s’en amuse-t-il aujourd’hui. Et si vous voulez vous aussi découvrir vos propres cratères en ligne, Gonzalez vous offre ses conseils.

À la Nasa, Ocampo met en doute le fait que ces nouveaux cratères se soient formés à partir du même évènement qu’Aorounga. “Ils ne semblent pas avoir le même âge”. Mais elle ne peut pas non plus complètement écarter l’hypothèse.

“Il nous faut aller sur le terrain” reconnait-elle.Pour avoir la preuve qu’un cratère est bien un cratère d’impact, et pas par exemple un volcan, les chercheurs doivent se rendre sur les lieux à la recherche de singes caractéristiques d’un impact extraterrestre, comme par exemple des “cônes de débris”, ou des minéraux qui ne se forment que sous l’intense chaleur et la formidable pression engendrés par un impact de ce type. Ce genre d’étude géologique peut également révéler l’âge de l’évènement, ce qui permet alors de l’identifier comme le maillon d’une chaîne ou bien un évènement parfaitement indépendant.

Les réponses vont sans doute se faire attendre un moment. Le Tchad est en ce moment en proie à une violente guerre civile, qui pourrait se compliquer d’une guerre ouverte entre Tchad et Soudan. Pas question de monter une expédition scientifique dans la région dans de telles conditions. En attendant, d’autres possibles chaînes de cratères ont été repérées, dans le Missouri et en Espagne notamment. Quoique ces sites soient plus accessibles que le Tchad en ce moment, les chercheurs ne sont toujours pas parvenus à déterminer si ce sont des chaînes ou non. C’est un travail difficile.

Ocampo pense que cela en vaut la peine. “Toute l’histoire de notre planète a été façonnée par les impacts” dit-elle. “Dans ce contexte, les chaînes de cratères ont sans doute beaucoup de choses à nous apprendre sur la Terre.”

Alors les recherches continuent...

Quelques liens pour aller plus loin

Débris de comètes en approche

Comment découvrir des impacts d’astéroïdes, par Emilio Gonzalez

Chaînes de cratères d’impacts suggérées par des images satellites

La base de données des cratères d’impacts sur Terre

Chaînes de cratères sur Terre et sur la Lune, une vue d’ensemble.

Le projet “Découverte d’Impacts de Cratères (Agence spatiale Européenne)

Photo du cratère d’Aorounga prise par la navette spatiale.

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