Des cyclones chargés à bloc

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Patrick L. Barry
traduction de Didier Jamet
10 JANVIER 2006

Image infrarouge du cyclone Emily prise par le satellite GOES 11. les signes + et – marquent les emplacements des éclairs enregistrés par le Réseau Nord-Américain de Détection des Eclairs. La ligne verte reproduit le plan de vol de l’avion scientifique ER-2. À droite, les graphiques donnent les variations du champ électrique enregistrées tout au long du vol.
Image infrarouge du cyclone Emily prise par le satellite GOES 11. les signes + et – marquent les emplacements des éclairs enregistrés par le Réseau Nord-Américain de Détection des Eclairs. La ligne verte reproduit le plan de vol de l’avion scientifique ER-2. À droite, les graphiques donnent les variations du champ électrique enregistrées tout au long du vol.

Nasa

Trois des cyclones les plus puissants de l’année 2005 étaient parcourus de mystérieux et inattendus éclairs. Les scientifiques de la Nasa tentent de comprendre pourquoi.

Le fracas du tonnerre et la déchirure des éclairs signifient généralement une chose : l’orage se rapproche. Etrangement, les plus grands système dépressionnaires de la planète, les cyclones, sont connus pour manquer singulièrement d’éclairs. Les cyclones soufflent très fort, déversent des dizaines de litres au mètre carré, submergent les côtes, mais ne foudroient que rarement.

Surprise : au cours de la saison des cyclones 2005 qui restera dans les annales comme une des plus actives, trois des plus puissants cyclones, Rita, Katrina et Emily, ont généré beaucoup d’éclairs. Bien sûr, les scientifiques voudraient comprendre pourquoi.

Richard Blakeslee, du centre d’étude du climat mondial et de l’hydrologie (Global Hydrology and Climate Center (GHCC) en version originale) de Huntsville, Alabama, était un des membres de l’équipe scientifique qui étudia le cyclone Emily à l’aide d’un avion ER-2 de la NASA, l’ER-2 n’étant rien moins que la version scientifique du célèbre avion espion U-2. Volant bien au-dessus du cyclone, ils y ont observé de fréquents éclairs dans les parois nuageuses cernant l’œil du cyclone. Ces éclairs se propageaient indifféremment de nuage à nuage ou des nuages vers le sol, au rythme d’au moins un éclair toutes les 2 ou 3 minutes.

" Habituellement, il n’y a que très peu d’éclairs sur les bords de l’œil. Alors quand on en observe, on comprend tout de suite qu’il se passe quelque chose. "

De fait, le champ électrique mesuré au-dessus du cyclone Emily était un des plus élevés jamais mesurés par les capteurs de l’avion au-dessus d’un quelconque phénomène météo. " Nous avons enregistré un champ continu supérieur à 8 kilovolts par mètre " confirme Blakeslee. " C’est énorme. On peut comparer ça aux champs les plus élevés qu’on s’attendrait à trouver au dessus des cellules orageuses de grande extension survolant la terre ferme ".

Ce survol d’Emily prenait place dans le cadre d’une campagne d’étude scientifique de 30 jours qui s’est déroulée en juillet 2005 afin d’améliorer notre compréhension des cyclones. Blakeslee et d’autres chercheurs de la Nasa, du NOAA et de 10 autres universités américaines se sont rendus au Costa Rica pour la durée de l’étude, qui a été nommée " Mécanismes des Systèmes Nuageux Tropicaux". À partir de l’aéroport international de San José, la capitale du Costa Rica, ils ont pu amener l’ER-2 à survoler les tempêtes des caraïbes et de l’est de l’océan Atlantique. Ils ont combiné les données recueillies avec l’ER-2 avec celles des satellites et de capteurs au sol pour obtenir un aperçu détaillé de chaque phénomène dépressionnaire.

Rita et Katrina n’ont pas été étudiés au cours de cette campagne. Les éclairs de ces deux cyclones ont été détectés à longue distance depuis le sol, pas avec l’ER-2, aussi on ne peut rien dire de leurs champs électriques.

Cependant, il est possible de relever des similitudes entre ces cyclones :

1- Ils étaient tous trois très puissants. Emily a atteint le niveau 4 sur l’échelle de Saffire-Simpson, Rita et Katrina ont culminé au niveau 5, le plus élevé

2- Tous se trouvaient encore au-dessus des eaux lorsque leurs éclairs ont été observés.

3- À chaque fois, les éclairs ont été observés dans la paroi cernant l’œil du cyclone.

Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? La question est d’importance, car les réponses pourraient s’avérer cruciales pour notre compréhension des mécanismes qui alimentent les cyclones.

En fait, on sait déjà pourquoi les cyclones " normaux " ne produisent que très peu d’éclairs. Il leur manque un ingrédient indispensable : de forts vents verticaux.

Au cœur des nuages d’orages, les vents verticaux provoquent la collision entre eux des cristaux de glace et des gouttelettes d’eau (ce que les scientifiques appellent les " hydrométéores "). Cette énergique friction fait perdre aux hydrométéores leur neutralité électrique. C’est un peu comme lorsque vous faites frotter vos chaussettes sur un tapis de laine. Tzzz ! Vous vous prenez une décharge d’électricité statique. C’est le même principe.

Pour des raisons encore mal comprises, les charges électriques positives ont tendance à s’accumuler sur les petites particules, tandis que les négatives préfèrent les grosses. Les vents et la gravité font alors le tri entre petits et gros hydrométéores, engendrant un énorme champ électrique dans le nuage. C’est la source des éclairs.

La plupart du temps, les vents des cyclones sont essentiellement horizontaux. C’est pourquoi l’agitation verticale qui engendre la tension électrique en est normalement absente.

Des éclairs avaient déjà été observés dans des cyclones précédemment. Durant une campagne de terrain en 1998 appelée CAMEX-3, les scientifiques avaient décelé la présence d’éclairs près de l’œil du cyclone Georges tandis qu’il s’abattait sur l’île caribéenne d’Hispaniola. Ces éclairs étaient probablement dus au phénomène connu sous le terme barbare de " forçage orographique ", qui signifie tout simplement que les vents horizontaux, venant cogner contre un obstacle naturel, deviennent brutalement ascendants.

" Les cyclones ont plus tendance à produire des éclairs quand ils arrivent sur la terre ferme " confirme Blakeslee. Mais force est de constater qu’il n’y avait aucune montagne sous les " cyclones électriques " de 2005. Rien qu’une eau désespérément plate.

Il est tentant d’invoquer la violence exceptionnelle d’Emily, Rita et Katrina pour expliquer d’une façon ou d’une autre leur activité électrique intense. Mais pour Blakeslee, l’explication est un peu courte. " Il y a eu quantité d’autres cyclones d’intensité similaire, et qui n’ont pas produit autant d’éclairs " souligne-t-il. " Il y a forcément autre chose à l’œuvre ".

Il est encore trop tôt pour dire avec certitude quel est ce facteur manquant. Les scientifiques auront encore besoin de nombreux mois pour dépouiller toutes les données accumulées au cours de la campagne de l’année passée avant de pouvoir espérer avancer une explication. Comme le reconnaît Blakeslee, " les cyclones ont encore bien des choses à nous apprendre ".

Quelques liens pour mieux comprendre (en anglais)

Campagne TCSP " Mécanismes des Systèmes Nuageux Tropicaux".

Cyclone Emily

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