Une explosion sur la Lune

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
31 DECEMBRE 2005

Le point rouge marque l’emplacement dans la Mer des Pluies du phénomène lumineux, probablement un impact de météorite, observé le 7 novembre 2005 sur la partie non éclairée de la Lune.
Le point rouge marque l’emplacement dans la Mer des Pluies du phénomène lumineux, probablement un impact de météorite, observé le 7 novembre 2005 sur la partie non éclairée de la Lune.

NASA/MSFC/Bill Cooke.

Alors comme ça, vous pensez qu’il ne se passe jamais rien sur la Lune ? Eh bien détrompez-vous, ça bouge fort là-haut. Des chercheurs de la Nasa y ont même observé une explosion.

La déflagration, d’une puissance équivalente à l’explosion d’environ 70 kilos de dynamite, s’est produite le 7 novembre 2005 près du rivage de Mare Imbrium, la Mer des Pluies. La cause en est très probablement l’impact d’un météoroïde de 12 centimètres de diamètre qui se déplaçait à une vitesse de 27 kilomètres par seconde, soit 97 200 km/h.

" Pour une surprise, ce fut une surprise " reconnaît Bob Suggs, chercheur au centre spatial Marshall de la Nasa. C’est lui qui a enregistré l’éclair de l’explosion. Avec son collègue Wes Swift, ils étaient en train de tester un nouveau télescope qu’ils avaient accouplé à une caméra afin justement de surveiller d’éventuels impacts de météores sur la Lune. Et ils firent cette belle prise dès leur première nuit d’observation.

La météorite qui a frappé la Lune était " probablement une Tauride ", avance l’expert en météores Bill Cooke. En d’autres termes, elle faisait partie de la même pluie d’étoiles filantes qui illumina sporadiquement le ciel terrestre entre fin octobre et début novembre 2005.

La Lune a également eu sa ration de Taurides, mais contrairement à la terre, elle ne dispose pas d’une épaisse atmosphère qui lui permettrait d’intercepter les cailloux célestes et de les transformer en inoffensives étoiles filantes. Sur la Lune, les météoroïdes touchent directement le sol – et explosent.

" L’éclair que nous avons vu " poursuit Suggs, " était presque aussi brillant qu’une étoile de 7e magnitude. " C’est en réalité deux fois et demi moins brillant que la moins brillante des étoiles visible à l’œil nu. Mais pour le télescope de 254 mm du groupe, c’était une proie facile.

Cooke estime que l’impact a creusé un cratère de l’ordre de 3 mètres de diamètre et profond de 40 centimètres. Pour un cratère lunaire, c’est minuscule. Même le télescope spatial Hubble ne parviendrait pas à le distinguer. La Lune est en effet à environ 384 000 kilomètres de nous. À cette distance, la plus petite chose que Hubble puisse distinguer ne fait pas moins de 60 mètres de long.

Ce n’est pas la première fois que l’on observe ainsi en direct un impact sur la Lune. Durant les pluies d’étoiles filantes des Léonides de 1999 et de 2001, des astronomes professionnels et même amateurs de tout l’hémisphère nord ont été témoins d’au moins une demi-douzaine d’éclairs dont l’éclat était compris entre la 7e et la 3e magnitude. Beaucoup de ces explosions furent photographiées simultanément par des observateurs très éloignés les uns des autres.

Depuis les Léonides de 2001, les astronomes n’ont pas passé beaucoup de temps à la chasse aux météores lunaires. " C’est passé de mode " confirme Suggs. Mais avec les nouvelles ambitions de la Nasa envisageant le retour de ses astronautes sur la Lune d’ici à 2018, il est temps de s’y remettre sérieusement.

Il y a beaucoup de questions auxquelles il faut apporter des réponses : avec quelle fréquence se produisent les gros impacts sur la surface lunaire ? Est-ce seulement pendant les pluies d’étoiles filantes comme les Léonides et les Taurides ? Ou faut-il s’attendre à des chutes continues au cours de l’année, dues à des météores sporadiques ? Les prochains explorateurs lunaires préféreront sans doute connaître en détail cette " météo lunaire ".

" La probabilité pour qu’un astronaute soit directement frappé par une chute de gros météoroïde à la surface de la Lune est minuscule " confesse Cooke. Cependant il admet que l’on manque de statistiques précises " car on n’a pas fait assez d’observations, lesquelles permettraient de se fonder sur un échantillon statistiquement représentatif ".

De plus, alors que le danger d’un impact direct est proche de zéro pour un astronaute isolé, il pourrait augmenter considérablement pour une base lunaire de quelque importance.

Mais selon Suggs, le plus grand motif d’inquiétude, c’est la volée de petits bolides secondaires projetés par l’impact principal. Personne ne sait jusqu’où ils sont susceptibles de se propager, ni quelle forme ils prennent.

Autre souci, les impacts pourraient soulever la poussière lunaire accumulée sur le sol, éventuellement sur une grande superficie. Il se trouve que la poussière lunaire est chargée électrostatiquement et notoirement collante. Même une petite quantité de poussière lunaire peut représenter un véritable fléau. Elle va se nicher dans les joints des scaphandres et des sas, recouvre les visières, et empuantit l’atmosphère lorsqu’elle est ramenée dans les quartiers d’habitation par les marcheurs lunaires. Les impacts de météoroïdes pourraient-ils également être une source de " tempêtes de poussières " lunaires. Encore une autre interrogation pour le futur.

Suggs et son équipe ont prévu de réaliser d’autres observations. " Nous envisageons un programme de suivi à long-terme actif non seulement pendant les pluies d’étoiles filantes traditionnelles, mais également entre ces périodes de pluies. Il nous faut développer un programme informatique qui sera capable de détecter automatiquement les éclairs d’impact. Rester 4 heures de suite l’œil rivé à l’oculaire dans l’espoir d’observer un fugitif éclair n’est tout simplement pas tenable. Typiquement un travail pour ordinateur. "

Avec quelques améliorations, leur système pourrait encore capter l’image de beaucoup de météores lunaires. Comme le dit Suggs, " je m’attends à quelques surprises. "

Et si c’était autre chose qu’un impact de météorite ?

Pour autant qu’ils le sachent, Suggs et Swift furent les seuls à enregistrer la trace de l’impact du 7 novembre 2005. " C’est probablement parce que nous étions les seuls à observer " avance Suggs. Aussi, contrairement aux léonides lunaires de 1999 et 2001, cette tauride lunaire de 2005 n’a pas été confirmée par un second ni un troisième observateur.

Pour autant, " nous sommes sur à 99% que ce que nous avons observé était bien un impact sur la Lune " confirme Suggs.

Envisageons cependant les autres possibilités. Elles sont au nombre de trois :

- un satellite passant inopinément entre la Lune et le télescope, et réfléchissant la lumière solaire dans la direction de ce dernier

- un rayon cosmique frappant le récepteur CCD de la caméra

- un météore, mais qui se serait produit dans l’atmosphère terrestre, et là encore entre la Lune et le télescope.

" Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’un satellite " dit Cooke qui, de concert avec l’ingénieur aérospatial Heather MacNamara, a passé en revue le catalogue du Norad des 8363 " objets suivis " en orbite terrestre. " Aucun satellite civil ou débris d’engin spatial ne se trouvait au bon endroit au bon moment pour produire un éclair dans la ligne de visée du télescope. " (NDT : comme il est précisé, ces données ne concernent que les satellites civils ou non-américains. Le Norad, qui assure la surveillance de l’espace au-dessus des Etats-Unis, ne communique pas les orbites des satellites espions et militaires américains, pas même aux chercheurs Etats-Uniens. Cette dernière hypothèse ne peut donc être formellement écartée.)

Passons à présent à l’hypothèse du rayon cosmique. " Nous avons observé l’explosion lunaire sur cinq poses consécutives (sur une durée de 150 millisecondes). Un rayon cosmique n’aurait affecté qu’une seule pose " argumente Suggs. Exit donc le rayon cosmique.

Reste finalement la possibilité d’une étoile filante bien terrestre. " Pour mimer l’effet d’un impact lunaire, un météore terrestre devrait se déplacer de façon exactement parallèle à la ligne de visée du télescope. Seule cette configuration lui permettrait d’apparaître comme un point et non comme une traînée lumineuse. Finalement, la probabilité pour qu’il s’agisse d’un impact lunaire est bien plus élevée. De plus, la courbe de lumière de l’impact du 7 novembre 2005 présente les mêmes caractéristiques que celles des Léonides lunaires observées en 1999 et 2001. Enfin, elle ne correspond pas à ce qu’on attendrait d’une météore terrestre d’aspect fortuitement ponctuel. "

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