Membranes martiennes

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Karen Miller
traduction de Didier Jamet
5 DECEMBRE 2003

Un jour, les vaisseaux se dirigeant vers Mars ou en revenant bénéficieront peut-être directement des bienfaits des membranes pour produire leur carburant ou maintenir un air respirable dans leurs habitacles.
Un jour, les vaisseaux se dirigeant vers Mars ou en revenant bénéficieront peut-être directement des bienfaits des membranes pour produire leur carburant ou maintenir un air respirable dans leurs habitacles.

NASA Pat Rawlings, SAIC

De fines membranes actuellement à l’étude pourraient considérablement faciliter la présence de l’homme sur Mars, et contribuer à réduire l’effet de serre ici-bas.

Quelles sont les caractéristiques de la technologie spatiale idéale ?: simple, solide, fiable, légère, et dotée d’un excellent rapport efficacité/volume. Dans l’absolu, elle ne devrait comporter aucune pièce mobile, ce qui limiterait les risques de panne. Ce serait une technologie passive, ne requérant aucun apport extérieur d’énergie. Elle serait petite et légère. Compte tenu de tous ces paramètres, et si l’on en croit le chimiste Doug Way, la technologie spatiale idéale serait une membrane.

Bon, c’est entendu, une membrane ne peut pas être bonne à tout faire. Elle ne va pas nous arracher à la pesanteur terrestre. Elle ne va pas non plus nous emmener sur Mars. Mais une membrane pourrait néanmoins nous aider à résoudre certaines des difficultés du voyage aller. Et faciliter grandement le voyage de retour.

Une membrane est essentiellement une barrière semi perméable. C’est une paroi qui laisse filtrer certains gaz et certains liquides. Mais, et c’est là tout son intérêt, elle ne laisse pas passer toutes les molécules de la même façon. Les membranes peuvent donc être utilisées pour trier différents composés.

Doug Way, de l’école des mines du Colorado, et Larry Mason, ingénieur chez Lockheed, travaillent sur un projet financé par la Nasa qui utilise les membranes pour fabriquer du carburant à partir de l’atmosphère martienne. Le principe est simple. L’atmosphère martienne est composée à 95 % de dioxyde de carbone (CO2). En utilisant des membranes appropriées, les premiers explorateurs de Mars pourraient extraire une partie de ce CO2 lequel, mélangé avec de l’hydrogène puis chauffé, devient du méthane, carburant utilisable par les moteurs fusées ou les véhicules d’exploration.

Il se trouve que l’eau est un sous-produit de ce processus de fabrication du méthane, appellé procédé Sabatier (du nom du chimiste français qui l’a mis en évidence au XIXe siècle). Et cette eau peut à son tour être électrolysée en oxygène, indispensable à la respiration humaine, et en hydrogène, que l’on peut réinjecter dans le processus de fabrication du méthane.

Bien que l’atmosphère martienne soit presque exclusivement composée de CO2, elle n’est pas suffisamment pure pour qu’on y applique directement le procédé Sabatier. Le dioxyde de carbone doit d’abord être séparé des autres gaz atmosphériques avant d’être traité. Sans quoi les gaz inutilisés, essentiellement l’azote et l’argon, s’accumulent et finissent par bloquer le processus. C’est sur des membranes capables de séparer le CO2 de ces autres gaz que travaillent Way et Mason.

Les molécules spécialisées qui constituent ces membranes sont conçues pour accroître la solubilité du CO2. " Nous ajoutons des groupes de molécules qui sont chargées électriquement " précise Way. Comme les molécules de dioxyde de carbone sont également polarisées, elles sont attirées par ces molécules (c’est en partie du fait du même type de polarisation que les molécules de savon se lient aux molécules de graisse)

Les membranes sont testées dans une chambre spéciale qui reproduit un environnement martien. Le dispositif, d’à peu près un mètre de haut, est divisé en deux compartiments. L’un contient une atmosphère de type martien, et dans l’autre règne un vide poussé. Ces compartiments sont séparés par une membrane de moins de trois centimètres carrés de surface. Un spectromètre de masse mesure la façon dont chaque gaz se déplace vers le compartiment en dépression.

" Avec le meilleur matériau que nous avons testé dans des conditions martiennes, " poursuit Way, " le CO2 était passé de l’autre côté de la membrane à peu près 50 fois plus vite que l’azote. "

" En ce moment même, " poursuit Mason, " nous continuons d’évaluer différents matériaux afin de déterminer lequel laisse le mieux passer le CO2. Une fois que nous l’aurons trouvé, nous nous concentrerons sur le point d’en obtenir assez dans un intervalle de temps donné, par exemple en modifiant la surface de la membrane, en améliorant son stockage, etc… "

Les chercheurs veulent concevoir un dispositif qui restitue à la sortie un mélange composé de 99,8 % de CO2 et ce au rythme de 2,5 litres à la minute. Pour y parvenir, Way concède qu’il va falloir un beau morceau de membrane. Bien qu’elle soit très fine (environ 25 microns d’épaisseur, soit le quart d’un cheveu), il lui faudra avoisiner une surface de l’ordre de 30 mètres carrés, soit la taille d’un petit appartement. Et elle devra pouvoir se replier dans un emballage de 30 cm carrés.

Mais une membrane qui sépare le CO2 des autres gaz peut aussi faire bien d’autres choses que de fournir la matière première du carburant des fusées. " C’est une technologie fondamentale qui peut servir à bien d’autres usages ".

On pourrait par exemple l’utiliser pour filtrer l’air de la station spatiale ou d’un vaisseau en partance pour Mars. Le dioxyde de carbone, qui est un déchet produit par notre métabolisme, doit être continuellement retiré de l’atmosphère des milieux confinés comme les vaisseaux spatiaux. Des membranes laissant uniquement passer le CO2 seraient donc particulièrement indiquées : " le CO2 diffuserait passivement à travers la membrane vers une chambre de rétention, voire vers l’espace, tandis que l’oxygène et d’autres gaz resteraient à l’intérieur. "

Sur Terre, ces membranes pourraient contribuer à ralentir le réchauffement dû à l’effet de serre. " On envisage ", confirme Mason " une membrane qui pourrait filtrer le CO2 directement en bout de cheminée des usines ". Cependant une telle application de cette technologie n’est pas pour demain. Mais ces membranes pourraient bel et bien un jour réduire à la source la quantité de dioxyde de carbone relâchée dans l’atmosphère.

" L’aspect le plus enthousiasmant de cette technologie " conclut Mason, " c’est qu’elle nous fournira peut-être les moyens d’aller un jour sur Mars et d’y vivre et travailler. " Mais en attendant, elle pourrait bien nous aider à mieux respirer sur Terre.

Quelques liens sur le sujet

Bureau de recherche biologique et physique

Centre d’applications commerciales de la combustion dans l’espace

Douglas Way

Le procédé Sabatier

Le dispositif de test

Gros plan

Support de la membrane

Principe schématique de fonctionnement.

Dans notre dictionnaire de l'astronomie...

La très mince couche de notre atmosphère bleue, vue depuis la Station Spatiale Internationale en 2015 par l'astronaute Scott Kelly
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