Mystères sous le sable

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Patrick L. Barry
traduction de Didier Jamet
11 JUILLET 2002

Colonne de sable avant compression lors d’une précédente expérience MGM durant la mission STS-79 de la navette spatiale Atlantis.
Colonne de sable avant compression lors d’une précédente expérience MGM durant la mission STS-79 de la navette spatiale Atlantis.

NASA

Durant un tremblement de terre, les ondes de choc compriment le sol plus vite que l’eau ne peut s’en échapper, faisant grimper la pression de cette dernière. À mesure qu’augmente la pression, l’eau supporte de plus en plus la charge – et le sable de moins en moins.

Paradoxalement, cette compression soudaine réduit la pression entre les grains de sable individuels – même sous des tonnes de roches ou de boue – et le sol se liquéfie.

« On comprend le phénomène dans ses grandes lignes » affirme Stein Sure, professeur en génie civil à l’Université de Colorado-Boulder, « mais comment les grains interagissent exactement quand la pression entre eux devient proche de zéro ? »

« Étudier ces processus dans des laboratoires sur Terre est difficile parce que le propre poids du sable crée une contrainte sur les grains » poursuit-il. Si les expérimentateurs pouvaient supprimer cette contrainte (et sur un temps assez long), ils pourraient beaucoup plus facilement tester le phénomène de liquéfaction du sol

C’est pourquoi Sure envoie du sable dans l’espace. Il est responsable d’une expérience appelée « mécanique des matériaux granulaires III » (MGM est l’acronyme en anglais), prévue pour s’envoler à bord de la navette spatiale Columbia (STS – 107) avant la fin de l’année.

L’expérience est en apparence d’une grande simplicité : une colonne de sable saturé d’eau contenue dans une gaine en latex est lentement comprimée entre deux plateaux pendant dix minutes (pour en revenir à nos châteaux de sable, la consistance de l’ensemble est plus proche de celle du sable gorgé d’eau s’écoulant de vos doigts que du sable humide tassé pour faire de solides fondations). Un cycle complet compression-détente dure environ 10 minutes.

Ce mouvement de compression reproduit ce qui arrive à un sol gorgé d’eau durant un tremblement de terre.

Trois caméras à bord de la navette spatiale vont montrer la façon dont la colonne se déforme. Après le retour de l’expérience sur Terre, les scientifiques utiliseront des tomographies traitées par ordinateur pour étudier la structure interne de la colonne de sable. Puis ils injecteront de la résine époxy pour durcir le sable, afin de préserver et d’analyser plus en détail au microscope les motifs internes.

« Ce sera la première fois que nous disposerons d’une fenêtre sur ce processus essentiel » affirme Sture.

Les précédents vols du dispositif MGM à bord des navettes Atlantis (STS –79) et Endeavour (STS-89) ont révélé des choses étonnantes à propos du sable sec. Manquant de données expérimentales pour les sols soumis à une basse pression, les scientifiques avaient estimé qu’on pouvait simplement prolonger vers le bas les courbes obtenues à haute pression. Mais MGM I et II montrèrent autre chose.

« Nous avons trouvé, par exemple, des propriétés de résistance presque doubles de ce que nous avions pensé » confirme Sture, ce qui revient à dire qu’à basse pression une couche de sable peut soutenir deux fois plus de poids que ce que l’on croyait possible auparavant. Mais si vous réduisez encore légèrement la pression de façon à ce qu’elle approche zéro, cette résistance s’effondre complètement. Étonnant !

Peut-être que de telles surprises attendent MGM III. Personne ne sait.

Sture fait remarquer que « comprendre ce processus de liquéfaction du sol aidera les ingénieurs en génie civil à décider si un site peut être déclaré constructible, et amènera peut-être à concevoir des fondations d’immeubles qui permettront d’empêcher la liquéfaction de se produire. »

Les bénéfices concrets de ces expériences iront bien au-delà de l’étude des sols. Les grains dans un silo sont également un matériau granulaire, comme le sont la plupart des céréales, beaucoup d’engrais, le charbon et encore la cendre. Dans tous ces cas de figure, savoir comment apprivoiser le matériau pour l’amener à s’écouler doucement ou le faire rester en place serait une bonne chose.

C’est quelque chose que vous pourrez méditer la prochaine fois que vous construirez un château au bord de la mer : sous le sable se cachent des propriétés physiques aux implications inattendues.

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