Une nouvelle forme de vie

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
31 JUILLET 2003

Microphotographie de Spirochaeta americana rendue fluorescente. Les formes spiralées rouge sont des cellules mortes, les vertes sont en vie.
Microphotographie de Spirochaeta americana rendue fluorescente. Les formes spiralées rouge sont des cellules mortes, les vertes sont en vie.

Richard B. Hoover, Elena Pikuta and Asim Bej, NASA/NSSTC

Des scientifiques de la NASA viennent de découvrir une nouvelle forme de microorganisme extrêmophile dans l’exotique lac californien Mono. Un avant-goût des surprises que pourrait nous révéler la mission du rover martien Spirit ?

Mark Twain n’appréciait guère le lac de Mono, en Californie. « Il se trouve dans un épouvantable désert sans arbre ni vie » écrit-il dans son journal de voyage vivre à la dure. « Cette mer sinistre silencieuse et sans voile, ce seul point remarquable de l’endroit le plus perdu de la Terre, est totalement dépourvu de pittoresque. »

L’exobiologiste Richard Hoover, du centre national de Science et Technologie de la Nasa, a un point de vue différent : « c’est magnifique » dit-il.

Le lac Mono ressemble à un monde extraterrestre. D’étranges concrétions appelées « tufa » sortent verticalement de l’eau, certaines dépassant les 3 mètres de haut. L’eau elle même grouille de milliards de créatures flottantes, de minuscules crevettes. Recueillez-en une et regardez-la de près : ne dirait-on pas une créature extraterrestre ? Et au milieu du lac on trouve une île, couverte de cendres et où jaillissent des sources chaudes.

Particulier n’est-ce pas ?

Ce lac est en fait un bassin volcanique de 22 km de diamètre. L’eau y provient des ruisseaux de la Sierra, mais y stagne sans aucune échappatoire possible, à part l’évaporation. Ce processus provoque l’augmentation régulière de la concentration en sels et minéraux.

Les « eaux venimeuses sont un détergent concentré », et presque deux fois plus salées que l’eau de mer, se plaignait Twain. « Il n’y a aucun poisson dans le lac Mono, pas plus que de grenouille, serpent, ni aucune larve amphibie. Rien qui puisse rendre la vie un peu agréable. »

« En vérité » corrige Hoover, « il y a beaucoup de vie ici. » Les crevettes sont loin d’en être le seul exemple. On peut encore citer cette espèce de mouche plongeuse qui passe le plus clair de son temps sur le rivage mais se risque parfois dans l’eau, fendant les eaux du lac dans de minuscules bulles d’air sous-marines. Le lac abrite également des microorganismes tels que des diatomées, cyanobactéries et algues filamenteuses.

Autant de vie dans un endroit aussi improbable ne pouvait pas laisser les exobiologistes insensibles. Et en septembre 2000, Hoover a fait le voyage jusqu’au lac Mono pour voir si le lac n’abritait pas autre chose.

Il s’intéressait tout particulièrement aux microbes. Beaucoup de microorganismes sont « extrêmophiles » : ils se complaisent dans des milieux qui seraient mortels pour des formes de vie plus volumineuses, comme les poissons ou les humains. « En étudiant les microorganismes qui vivent dans ces milieux terrestres extrêmes, comme le lac Mono, nous commençons à comprendre quelles formes la vie pourrait prendre sur Mars ou d’autres mondes » explique Hoover.

Ce fut une brève visite : juste une journée sur place, pour collecter des échantillons d’eau et de boue, puis retour au labo à Huntsville, Alabama, pour analyses. Mais ce fut assez pour une découverte. Profondément enfouie dans la boue salée et alcaline du lac, là où aucune molécule d’oxygène ne peut pénétrer, il découvrit une nouvelle espèce de bactérie : Spirochaeta americana.

« Cette gracieuse et extrêmement svelte bactérie se déplace avec un élégant mouvement » s’émerveille la microbiologiste Elena Pikuta du NSSTC, qui a mis les échantillons en culture. « les parois de ses cellules son très délicates, et il est difficile de les maintenir durablement en vie au laboratoire. »

Le labo est sans doute trop confortable pour quelque chose d’assez buté pour vivre au lac Mono. Cela aurait du moins sans doute été l’avis de Mark Twain. Comme le fait remarquer Hoover, le talent exceptionnel d’Elena Pikuta pour isoler et faire croître de tels microbes en laboratoire fut primordial dans cette découverte.

Le genre Spirochaeta comprend 13 espèces de bactéries. Elles ne sont pas toutes accommodées à des milieux aussi sévères que le lac Mono. Certaines prospèrent dans la boue ordinaire des rivières, la même que celle avec laquelle les enfants adorent jouer. Mais cependant la plupart d’entre elles raffolent des environnements extrêmes. Spirochaeta thermophila par exemple, peut être trouvée dans les boues soumises à très haute pression qui environnent les sources hydrothermales océaniques profondes. Un autre exemple est constitué par Spirochaeta bajacaliforniensis qui prolifère dans les boues sulfureuses de Baja California. Toutes les Spirochaetae sont résistantes à de hautes concentrations en sulfure. Les boues salées, chaudes et saturées de sulfure semblent être un nid douillet pour ces créatures.

Hoover a prévu de bientôt retourner au lac Mono afin d’y prélever plus de microbes. Cette recherche tombe à pic car le lac Mono ressemble à un site martien appelé Gusev, un cratère près duquel le rover martien Spirit doit atterrir en 2004. Qu’est-ce que Spirit pourrait y trouver ? Découvrez-le dans la suite de cet article, « Mars sur Terre ? » (lien ci-dessous)

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