article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
23 JANVIER 2003
Le jour ne s’est pas encore levé que c’est déjà la ruée vers le travail ou l’école. Alors arrêtez-vous un instant, et levez un peu le nez en l’air. Deux éblouissantes planètes n’attendent que votre regard.
John Steinbeck appelait ce moment privilégié « l’heure de la Perle »
C’est « le moment gris » écrivait-il dans Rue de la Sardine : « La lumière est déjà là mais le Soleil ne s’est pas encore levé – cet entre-deux du jour et de la nuit, quand le temps s’arrête pour mieux s’examiner. Pas une voiture, pas un bruit dans les rues. On peut même entendre l’assaut furieux des vagues s’écrasant contre les piliers des conserveries. »
Ça c’était il y a cinquante ans. Aujourd’hui, l’heure de la perle est annoncée par le radio-réveil. Vous vous extirpez du lit, vous habillez rapidement, et engloutissez à la hâte votre petit déjeuner. Et quelle est cette rumeur sourde dans le lointain ? Le ballet incessant des voitures sur l’autoroute.
Alors appelons ça différemment. « L’heure des planètes » par exemple.
Il se trouve que ce mois-ci, il y en a deux particulièrement brillantes dans le ciel du petit matin : Vénus et Jupiter. Même bien après que toutes les autres étoiles et planètes ont commencé à s’éteindre dans le ciel qui va en s’éclaircissant, vous ne pouvez pas rater ces deux là. Et vous n’aurez pas besoin de beaucoup de temps pour les admirer sur le chemin de l’école ou du travail.
Jetez d’abord un coup d’œil vers le sud-est, plus ou moins dans la direction où le Soleil devrait se lever. Vénus sera là, immanquable, brillant 140 fois plus qu’une étoile de première magnitude (La magnitude actuelle de Vénus est de –4,4). Elle est si brillante que vous la prendrez peut-être pour un avion ayant allumé ses phares d’atterrissage. Mais il vous suffira de la fixer pendant quelques instants pour vous rendre compte de son immobilité. (Vénus est la cause de nombreux témoignages ovnis, les observateurs peu familiers du ciel étant troublés d’y observer « un avion immobile »).
En fait, Vénus bouge, elle monte imperceptiblement dans le ciel, comme le Soleil. Si vous en avez le temps, gardez un œil sur elle depuis l’aube jusqu’à ce qu’il fasse grand jour : si vous savez où regarder, vous pourrez retrouver Vénus alors que le soleil est déjà bien levé.
À présent, pivotez sur vous-même et regarde plein ouest. Voici Jupiter (magnitude –2,4), à peu près à la même hauteur au-dessus de l’horizon que Vénus. Bien que Jupiter soit beaucoup plus grande que Vénus, elle est 6 fois plus éloignée de la Terre et son éclat est plus faible en proportion. Mais même dans ces conditions, Jupiter est 25 fois plus brillante qu’une étoile de première magnitude. C’est beaucoup.
Si vous avez un peu de temps devant vous, et un petit télescope, observez de plus près Jupiter et Vénus.
Jupiter en particulier vaut le coup d’œil. Vous devriez apercevoir assez facilement ses ceintures nuageuses couleur rouille.
Ceux qui l’observent pour la première fois disent souvent qu’elle a l’air aplatie, plus grande à l’équateur qu’entre les pôles. Télescope déréglé ? Non, Jupiter est bien aplatie. Bien que Jupiter soit à l’équateur environ 70 fois plus grande que la Terre, elle tourne deux fois plus vite sur elle-même : un jour sur Jupiter ne dure que 9 heures et 55 minutes. C’est cette rotation rapide qui produit ce renflement à l’équateur de Jupiter.
Les télescopes de petit diamètre vous révèleront encore jusqu’à quatre « étoiles » autour de Jupiter. Galilée les observa pour la première fois en 1610, au travers d’une longue-vue rudimentaire. Ce sont en fait les lunes de Jupiter : Io, Europe, Callisto et Ganymède. Enfin la grande tache rouge (un tourbillon cyclonique dans lequel la planète Terre logerait aisément) est aussi assez fréquemment visible. Les observateurs chevronnés recommandent d’utiliser un télescope d’au moins 25 centimètres de diamètre dans un ciel sans turbulences pour bien observer la grande tache rouge.
Si Vénus est beaucoup plus brillante que Jupiter, elle est moins impressionnante vue au télescope. Pourquoi ? Parce que Vénus est complètement recouverte d’épais nuages uniformes. Pendant de nombreuses années, les scientifiques ont cru que les nuages de Vénus dérobaient à notre vue un paradis tropical luxuriant. Aujourd’hui, grâce aux observations radar réalisées en orbite et aux sondes russes qui s’y sont posées, nous savons que Vénus est un enfer. Sa surface est plus sèche que n’importe quel désert terrestre, et il y règne la température du plomb fondu. Mais ces nuages alors ? Ils sont gorgés d’acide sulfurique.
Rien de tout cela ne transparaît dans l’oculaire de votre télescope. Vénus semble plutôt pacifique et insipide. Vous constaterez peut-être que Vénus n’est pas un cercle parfait. Comme la Lune, elle passe par différentes phases, et en ce moment elle est gibbeuse, ce qui correspond à un peu plus que le premier quartier. En fait, Vénus ressemble à une perle dans le ciel : blanche, sereine, un spectacle véritablement apaisant.
Finalement Steinbeck avait bien raison : c’est indiscutablement l’heure de la Perle.
Note : depuis quelques semaines, Jupiter est aussi une brillante étoile du soir. Cherchez-là à l’est à partir de 20 heures. Et notez bien la date du 28 janvier sur votre agenda : un mince croissant de Lune (accompagné de la lumière cendrée) viendra se glisser entre Vénus et Mars (cette dernière beaucoup moins brillante) dans le ciel du matin.
