article de Didier Jamet
2 FEVRIER 2003
Don A.Nelson n’est ni astrologue ni voyant extralucide. C’est un ancien ingénieur de la NASA qui a travaillé sur le programme de la navette depuis l'origine. Il a pris sa retraite en 1999. L’été dernier, il a adressé un courrier à la direction de la NASA, puis en désespoir de cause au président Georges W. Bush lui-même, expliquant pourquoi il fallait d’urgence décréter un moratoire sur les vols de navette. Si l’on avait suivi la plus simple de ses recommandations d’alors, trois des sept astronautes de Columbia seraient encore en vie aujourd’hui. Voici quelques extraits de ce troublant document.
Tout d’abord l’introduction de sa lettre au Président Bush, datée du 25 août 2002
« J’ai quitté depuis peu la NASA ou j’étais ingénieur aérospatial, et il est de mon devoir de vous informer que nos astronautes participant aux missions de la navette spatiale sont en grand danger »
« Vous devez absolument intervenir pour empêcher une nouvelle catastrophe impliquant la navette. La direction de la NASA et le comité consultatif de sécurité aérospatiale n’ont pas apporté les réponses adaptées aux signaux alarmants toujours plus nombreux annonciateurs d’un nouvel accident. »
Suit une liste de divers incidents ayant affecté les navettes ces dernières années, et quelques préconisations concernant la mise en sécurité de l’équipage. Il insiste notamment sur la nécessité selon lui d’automatiser d’urgence le pilotage de la navette, aménagement qui permettrait de libérer de la place pour l’installation d’une capsule d’évacuation et de survie digne de ce nom.
Soyons clairs : Dans les circonstances précises de l’accident de Columbia, la violence de la désintégration fut telle qu’un module de survie n’aurait probablement pas suffi à sauver l’équipage.
Cependant la tragédie de Columbia montre que les craintes de Nelson, nourries par une connaissance intime du dossier, étaient parfaitement fondées.
Mais surtout, conscient des difficultés qu'aurait engendré un arrêt complet des vols de navette, Nelson n'a demandé que la simple application d’un principe élémentaire de précaution dans un contexte de sécurité qu'il estimait dégradé :
« Monsieur le Président, ce moratoire doit limiter à quatre le nombre d’occupants de la navette lors de chaque lancement. Cette mesure doit rester en application jusqu’à ce qu’un module d’évacuation de l’équipage soit intégré.
Ce moratoire servira de catalyseur afin de remettre à plat la façon dont la NASA envisage les questions de sécurité. On ne peut pas faire comme si la vie de nos astronautes et l’avenir de notre programme spatial comptaient pour quantité négligeable. »
Il ne demandait donc pas l'impossible, il demandait juste que l'on limite le nombre de gens exposés à un danger qui, avec raison, lui paraissait grandissant. S’il avait été entendu, trois des sept disparus à bord de Columbia seraient aujourd'hui en vie.
Sur la page Internet qu’il a créée pour exposer le but de ses démarches, Don A Nelson explique en substance, dans une foire aux questions suivant le fac simile de sa lettre, qu’il faut arrêter de faire comme si la Station spatiale Internationale était un hôtel, et la navette spatiale un charter. En clair, selon lui, les tolérances de la NASA par rapport aux normes de sécurité des vols habités ont atteint des niveaux anormalement élevés.
Lorsqu’on lui a demandé s’il avait bon espoir d’être entendu des autorités, il a répondu qu’il etait assez pessimiste. Alors pourquoi a-t-il pris cette initiative ? Sa réponse prend aujourd’hui un terrifiant relief :
« Je crois que d’ici peu de temps, il y aura un nouveau drame avec une navette. Et quand ce jour arrivera, je veux pouvoir me dire que j’aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour sauver cet équipage. »
Ce jour terrible est arrivé le 1er février 2003, moins de 6 mois après la dernière démarche désespérée de Don A. Nelson auprès du président Bush.