article de Didier Jamet
12 MARS 2002
En janvier dernier, nous nous étions fait l’écho d’une expérience d’astrophysique amusante qui proposait de définir la couleur de l’Univers en réunissant en un point toutes ses sources lumineuses. Au final, on obtenait un vert pastel ravissant, très tendance. Las, ce résultat était faux ! Pour avoir négligé certains aspects fondamentaux de la science des couleurs, les chercheurs Américains à l’origine de l’étude font aujourd’hui amende honorable.
" Nous n’avons aucune excuse " reconnaît penaud Karl Glazebrook, professeur assistant d’astronomie à l’Université John Hopkins. " Nous n’avons pas assez pris au sérieux la science des couleurs, un point c’est tout… ". Mais il prend aussitôt soin de ramener l’affaire à ses justes proportions : " Au départ, c’était juste une note en bas de page d’un considérable travail d’analyse du spectre lumineux émis par plus de 200 000 galaxies. Nous ne pensions pas que ce point anecdotique pourrait connaître un tel succès auprès du public ".
Artefact et vieux logiciel
C’est justement la publicité faite autour de cette " découverte " qui a permis de révéler l’artefact. Peu de temps après, Mark Fairchild, du Laboratoire Munsell de Science des Couleurs, auteur d’un ouvrage sur la perception des couleurs par l’œil humain, a contacté les astronomes pour essayer d’approfondir la question. Et c’est là que la vérité est apparue dans sa nudité toute crue: le programme informatique utilisé pour traduire en couleurs les données brutes du spectre, récupéré un peu au hasard sur Internet, était en réalité très mal calibré, notamment en ce qui concerne la question cruciale du " point blanc ". Le " point blanc " est la balance de couleurs qui nous permet de percevoir une couleur comme étant blanche, en fonction de l’environnement lumineux dans lequel elle est perçue.
Moins blanc que blanc
" les lampes au tungstène donnent par exemple un point blanc jaunatre, " illustre Francis Imai, lui aussi du laboratoire Munsell, " alors que certains écrans d’ordinateurs donnent au contraire un point blanc bleuté. Notre système visuel et notre cerveau compensent alors automatiquement en fonction de ce contexte particulier, et nous font reconnaître comme blanc quelque chose qui contient en fait une touche de bleu ou de jaune "
Avec une mauvaise foi parfaitement assumée et un solide humour, Ivan Baldry, co-auteur du travail aujourd’hui incriminé, note ironiquement que " notre résultat n’était pas si faux que ça : si vous observez l’Univers depuis la devanture d’une pizzeria éclairée par un néon rouge, il apparaîtra effectivement du vert que nous avions défini. Mais on peut difficilement considérer ce cas comme standard… "
Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Sommes-nous tendance ?
Mais alors, quelle est la bonne couleur ?
En fait, après cette première bourde, la prudence est de mise, et les résultats définitifs ne devraient pas être connus avant l’été. Là encore, tout dépend de l’environnement lumineux. Si on se place dans l’hypothèse où l’observation se ferait " à la lumière du jour ", l’univers serait d’une faible nuance rouge, mais en " lumière artificielle ", il virerait au bleu… Quant à l’hypothèse d’un observateur placé dans l’obscurité absolue, il n’y verrait que du beige…
Bien sûr, tout ceci n’est pas très sérieux, et l’idée même que l’Univers puisse avoir une couleur globale, qui plus est perceptible par un observateur se trouvant " à l’extérieur ", est une notion doublement incongrue qui ferait hurler les astrophysiciens les plus rigoureux auxquels vous vous aventureriez à poser la question.
Mais c’est justement l’absence d’enjeu qui rend cet aveu " en pleine lumière " intéressant : l’histoire des sciences est littéralement remplie de fausses découvertes annoncées avec fracas, puis, dans le meilleur des cas, démenties à la sauvette par un discret communiqué.
La plupart du temps, l’ambiguïté des résultats est telle que les débats sur leur validité s’éternisent, enlisant la question dans les sables des publications scientifiques, et mobilisant énormément d’énergie pour bien peu de bénéfices.
Bref, il serait agréable de trouver chez tous les chercheurs un fair-play identique à celui de Glazebrook et Baldry. À propos, où en sont les preuves de la présence de " squelettes " de bactéries martiennes à l’intérieur de la météorite ALH 84001 (1) ?...
La moralité de cette petite histoire pourrait être la suivante : en matière de goûts et de couleurs, comme en d’autres bien plus sérieuses, ne faites jamais aveuglément confiance aux experts. Il n’est pas certain qu’ils aient une meilleure vue que vous…
(1) Annoncée à grand renfort de publicité lors d’une conférence de presse en août 1996, la soi-disant découverte de fossiles d’archéobactéries extraterrestres dans un caillou martien n’a jamais pu être démontrée. Six ans après, l’hypothèse d’une origine organique des structures observées garde bien peu de partisans. À l’époque, la Nasa avait été suspectée d’avoir improvisé cette conférence de presse pour obtenir des rallonges budgétaires sous la pression de l’intérêt de l’opinion publique pour la recherche de vie extraterrestre… Une assertion qui elle non plus n’a jamais pu être démontrée…
Source: john Hopkins University
