Les étranges talons d’Achille du corps des astronautes

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Patrick L. Barry
traduction de Didier Jamet
27 OCTOBRE 2005

L’astronaute Pete Conrad en novembre 1969 à la surface de la Lune, un lieu particulièrement exposé aux radiations en provenance du Soleil
L’astronaute Pete Conrad en novembre 1969 à la surface de la Lune, un lieu particulièrement exposé aux radiations en provenance du Soleil

Nasa

Quelques protections supplémentaires disposées sur des parties inattendues du corps humain permettraient aux astronautes de survivre aux doses massives de particules émises lors des éruptions solaires.

Imaginez un peu la scène : un astronaute, sur la Lune, penché sur un rocher avec un marteau à la main. Soudain, par-dessus son épaule, un bref éclat de lumière jaillit à la surface du Soleil.

Sa radio se met alors à grésiller :

- « Explorateur N°1, tu me reçois ? Ici la base ».

- « Qu’est-ce qui se passe ? »

- « On vient d’avoir une éruption solaire, une belle. Il faut absolument que tu te mettes à l’abri. Les radiations pourraient être sur toi dans moins de dix minutes. »

- « Bien reçu, je me dirige vers la Jeep à présent. Qu’est-ce que tu proposes ? »

- « Protège bien tes hanches ».

Se protéger les hanches ? Voilà un conseil plutôt inattendu dans un contexte spatial. Et pourtant, il serait parfaitement adapté pour survivre aux effets d’une éruption solaire intense. Les autres zones sensibles sont les épaules, les fémurs, la colonne vertébrale, le sternum et la boîte crânienne.

Pourquoi ces parties du corps précisément ? Parce que les os dont elles sont constituées contiennent beaucoup de moelle osseuse, où sont fabriquées les globules rouges qui constituent l’essentiel de notre sang. Les délicates cellules de la moelle osseuse sont particulièrement vulnérables aux protons de haute énergie émis lors d’une éruption solaire, et ces derniers pourraient toutes les éliminer lors d’un évènement particulièrement violent. Et sans ces usines à globule rouge pour renouveler le sang, celui-ci serait épuisé en moins d’une semaine. La seule thérapie envisageable serait une greffe de moelle osseuse, mais elle ne pourrait certainement pas être menée sur la Lune.

Aussi pour avoir de bonne chances de survivre aux radiations libérées par une éruption solaire, une seule solution : mettre à l’abri votre moelle osseuse.

Alors que la Nasa prévoit de renvoyer des hommes sur la Lune d’ici moins de 15 ans, cette question est l’un des problèmes les plus sérieux auxquels elle soit confrontée. Une fois franchie la barrière de protection que constitue le champ magnétique terrestre, un astronaute foulant le sol lunaire prendrait de plein fouet des doses massives de radiation.

La meilleure solution consiste bien sûr à se mettre à l’abri, par exemple gagner une zone spécialement aménagée pour faire écran aux radiations. Mais si cet abri est trop éloigné de la zone explorée, une combinaison spatiale portant des protections renforcées au niveau des parties du corps riches en moelle osseuse pourrait s’avérer être une question de vie ou de mort.

« Renforcer l’ensemble du scaphandre n’est pas une solution réaliste » admet Franck Cucinotta, qui dirige l’unité de prévention contre les rayonnements spatiaux du centre spatial Johnson, « car alors la combinaison serait alors impraticable ». Les astronautes doivent pouvoir garder la faculté de marcher, de se pencher, et de saisir des outils et différents objets. Trop d’épaisseurs de protections rendraient ces simples mouvements impossibles. D’où l’idée d’une protection sélective.

Une couche d’une matière plastique telle que le polyéthylène de seulement 1 cm d’épaisseur suffirait à atténuer considérablement les effets des radiations. « À l’exception d’une éruption vraiment gigantesque, cette protection serait suffisante pour préserver entièrement les cellules sanguines des astronautes » affirme Cucinotta. Et dans le pire des cas, même si 95% des cellules étaient mortellement irradiées, les 5% restant suffiraient à obtenir une régénération de la moelle osseuse, sans greffe d’aucune sorte.

Ainsi protégé, un astronaute pourrait cependant encore être sujet à des maladies à lente évolution, par exemple cancer, cataracte, et autres maladies liées à l’exposition aux radiations. « Aucun scaphandre ne peut arrêter tous les protons solaires » reconnait Cucinotta. Mais si les cellules génératrices de globules rouges survivent, l’astronaute lui aussi survivra, et suffisamment pour avoir le temps de se faire du souci pour sa santé future...

Pour le moment, l’idée de concevoir un scaphandre à protection sélective n’est rien d’autre que ça : une simple idée. Cucinotta confirme que beaucoup d’autres options sont envisagées pour protéger les astronautes sur la Lune. Mais les réponses à cette proposition ont jusqu’à présent été plutôt positives. Ça pourrait marcher.

Si l’idée prend, les scaphandres de la nouvelle ère de l’exploration lunaire seraient quelque peu différents de ceux des missions Apollo, avec entre autres choses des épaules plus larges, de larges hanches, et de gros casques. La mode change, et parfois ce n’est pas un mal...

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