Des fusées dures à cuire

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Patrick L. Barry
traduction de Didier Jamet
14 AVRIL 2004

Les prochaines générations de vaisseaux spatiaux et d’automobiles pourraient un jour bénéficier d’une toute nouvelle technologie développée au sein de la Nasa, laquelle permet aux moteurs de supporter les températures très élevées auxquelles ils sont soumis.

Lorsque l’homme sera retourné sur la Lune et commencera à " y vivre et travailler pour des périodes de plus en plus longues ", selon les perspectives récemment tracées par la Nouvelle Vision pour l’exploration spatiale, il faudra inévitablement augmenter la fréquence des allers et retour entre la Terre et la Lune, que ce soit pour transporter des hommes ou du matériel.

Faire stationner un " bac de l’espace " en orbite terrestre, plutôt que de le faire redescendre sur Terre à chaque rotation et dépenser une énergie colossale pour le remettre en orbite la fois suivante, est un des scénarios envisagés pour rendre économiquement viables les déplacements dans la banlieue terrestre. Un véhicule plus petit serait alors utilisé pour transporter les équipages entre la Terre et le bac.

Cette idée présente un certain nombre d’avantages. Mais elle soulève également des difficultés, notamment en terme de maintenance. Comment procède-t-on à l’entretien d’un véhicule qui ne retourne jamais au garage, c’est-à-dire sur Terre ?

Les moteurs principaux de la navette spatiale, qui représentent à l’heure actuelle le nec plus ultra en terme de propulsion à carburant liquide, doivent impérativement être révisés de fond en comble entre chaque mission. Les conditions extrêmes qui règnent dans les chambres de combustion à chaque lancement, du fait de la température avoisinant les 3000 degrés et de l’agressivité des réactifs chimiques utilisés, provoquent la détérioration des matériaux dont sont constituées les parois intérieures.

Sous l’action de ce phénomène, appelé " blanchiment ", les parois deviennent peu à peu friables et ont tendance à s’écailler. Et ce processus de corrosion deviendrait vite catastrophique si la surface des chambres de combustion n’était pas soigneusement polie entre chaque mission.

Utilisés pour un bac spatial, de tels moteurs finiraient par devenir dangereux après seulement quelques allers et retours sans maintenance entre l’orbite terrestre et la Lune.

Des revêtements spéciaux peuvent protéger les parois des chambres de combustion de ces détériorations, mais ils ne sont pas la panacée. Du fait que les matériaux ne se dilatent pas tous de la même façon sous l’action de la chaleur, le revêtement se dilatera différemment de la paroi qu’il est censé protéger lorsque les moteurs seront mis à feu. Au niveau de la transition entre paroi et revêtement, cette différence de dilatation pourrait entraîner un décollement, et on se retrouverait au même point : révision régulière obligatoire.

Mais les choses sont peut-être en train de changer. Les scientifiques du Centre Spatial Marshall de la Nasa ont en effet développé une possible solution à ce casse-tête. En utilisant une technique sophistiquée dite de " projection au Plasma sous vide ", ils déposent sur un moule, couche après couche, un mélange de matériau structurel et de revêtement protecteur. Ils sont ainsi parvenus à construire une chambre de combustion de moteur-fusée qui peut supporter plus d’une centaine de mises à feu à la suite sans présenter le moindre signe d’abrasion ou de cloquage.

" Selon nos procédures de tests, cette chambre de combustion semble parfaitement insensible à l’usure que produisent habituellement des cycles de combustion répétés " confie Richard Holmes, ingénieur du Centre Spatial Marshall. Cette caractéristique ferait d’un moteur-fusée construit selon cette nouvelle technique un excellent candidat pour propulser un bac spatial nécessitant une maintenance réduite à sa plus simple expression, ou tout véhicule de lancement de nouvelle génération.

Mais cette technique pourrait également avoir des retombées dans le domaine automobile, et pas seulement pour les bolides de compétition.

Paradoxal avantage de cette technique, ses bienfaits ne viennent pas de ce qu’elle ajoute, mais plutôt de ce qu'elle supprime : la zone de transition entre paroi et revêtement protecteur.

Lorsque les couches de mélange, ne dépassant pas le micron d’épaisseur, sont projetées sur le moule, le rapport entre revêtement et matériau structurel varie très progressivement de 100 % revêtement à 100 % matériau de structure, en passant par une zone d’égalité parfaite à 50 – 50. On obtient ainsi une transition très graduelle de l’un à l’autre, de sorte que les efforts mécaniques induits par l’expansion due à la chaleur se trouvent répartis sur l’ensemble de la vaste zone de transition, au lieu de se concentrer sur une étroite interface.

Au final, on obtient une chambre de combustion extrêmement résistante.

Le revêtement en lui-même est constitué d’un alliage métallique de nickel, de chrome, d’aluminium et d’yttrium, ce qui en abrégé donne NiCrAlY (Prononcez " Nicrali ").

Non content d’assurer la protection de la chambre de combustion contre la corrosion, cet alliage offre également une excellente isolation thermique, abaissant de près de 100 ° Celsius la température des parois lors d’une mise à feu.

Selon Holmes, c’est la combinaison unique de ses qualités en termes de protection thermique et de résistance à l’usure qui en fait un matériau prometteur pour l’automobile. Les moteurs de compétition tournent par exemple à des vitesses dépassant fréquemment les 12 000 tours/minute, alors que la zone rouge d’une voiture de série commence généralement à 6 000 tours. De telles vitesses de fonctionnement engendrent une usure rapide, et les moteurs de ces bêtes de compétition doivent être entièrement refaits après chaque course.

Un revêtement en NiCrAlY complété par une couche de zirconia (une barrière thermique en céramique) déposés grâce à la technique de la projection au plasma sous vide pourrait sensiblement augmenter la durée de vie des têtes de piston et des parois des cylindres.

Si les voitures de série ne sont pas soumises aux mêmes contraintes mécaniques que les voitures de course, elles n’en dissipent pas moins d’énormes quantités d’énergie sous forme de chaleur, ce qui explique en partie pourquoi les moteurs thermiques ont un rendement si faible. Là encore, le NiCrAlY appliqué aux parties exposées à la combustion permettrait d’élever la température de cette dernière, permettant d’augmenter tout à la fois le rendement et la durée de vie du moteur.

L’avenir dira quelles applications les ingénieurs seront à même de trouver pour ce matériau à changement progressif de fonctionnalité, mais la technologie existe. Holmes et ses collègues (Sandy Elam du centre spatial Marshall et Tim McKechnie de la société Plasma Processes) ont déjà procédé à plus d’une centaine de mises à feu de petites chambres de combustion réalisées selon ce procédé, et ils vont bientôt passer à une plus grande échelle, susceptible de propulser des vaisseaux spatiaux.

Avec l’aide de cette technologie, la prochaine génération de vaisseaux spatiaux habités devrait sans doute être en mesure de faire beaucoup plus de kilomètres entre chaque révision…

Note : la technologie décrite dans cet article est une retombée directe de recherches fondamentales menées sur les matériaux. Tout a commencé il y a des années de cela, lors des premiers essais de fusion d’alliages et de semi-conducteurs dans des fours spatiaux. En effet, la fusion et le refroidissement de ces matériaux en microgravité est une façon idéale d’étudier leurs propriétés fondamentales et, parfois, de réussir des alliages impossibles à réaliser sur Terre. Mais très vite, un problème est apparu. Certains semi-conducteurs, comme l’arséniure de Gallium, rongeaient les récipients en métal réfractaire censés les contenir dans le four ! C’est pour y remédier que fut développée la technique de plasma sous vide permettant le dépôt de matériau à changement progressif de fonctionnalité sur les parois de ces récipients. Au départ, personne ne pensait à fabriquer un jour de meilleurs moteurs-fusée. Comme quoi on ne sait jamais où la recherche fondamentale peut nous mener !

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