L’homme peut-il aller sur Mars ?

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
20 FEVRIER 2004

« Terres lointaines », une œuvre de Pat Rawling. Y parviendrons-nous ?
« Terres lointaines », une œuvre de Pat Rawling. Y parviendrons-nous ?

Pat Rawling/SAIC

Les radiations qui emplissent l’espace séparant Mars de la Terre représentent un danger pour les astronautes. Jusqu’à quel point ? Les chercheurs de la Nasa essayent de le déterminer.

La Nasa est confronté à un grand mystère : peut-elle envoyer des hommes sur Mars ou pas ?

« C’est une question de radiations » résume Frank Cucinotta, chercheur de la Nasa qui travaille sur cette question au Centre Spatial Johnson. « Nous connaissons la quantité de radiations qui nous attend entre la Terre et Mars, mais il nous reste encore à savoir comment le corps humain va y réagir ».

Bien sûr les astronautes de la Nasa sont déjà allés dans l’espace, par intermittence, depuis 45 ans. Excepté lors de quelques rapides séjours sur la Lune, ils n’ont cependant jamais passé beaucoup de temps loin de la Terre. L’espace lointain est rempli de protons éjectés par les éruptions solaires, de rayons gamma signalant la naissance des trous noirs, et de rayons cosmiques accompagnant les explosions d’étoiles. Aussi un long voyage vers Mars, sans grosse planète dans le voisinage pour bloquer ou dévier ces radiations, promet d’être une toute nouvelle aventure.

La Nasa jauge le danger que représentent les radiations en unités de risque de cancer. Aujourd’hui, un Américain non-fumeur de 40 ans en bonne santé a 20 % de « chances » de mourir d’un cancer. Ça, c’est s’il reste sur Terre. S’il fait le voyage vers Mars, le risque augmente.

La question cruciale est : de combien ?

« Difficile à dire » reconnaît Cucinotta. Selon une étude menée en 2001 sur des populations qui ont été exposées à des doses massives de radiations, comme les survivants de la bombe atomique d’Hiroshima ou les malades du cancer soignés par radiothérapie, le risque ajouté lié à une mission martienne de 1000 jours se trouve quelque part entre 1 et 19 %. D’après Cucinotta, « La réponse la plus probable est 3,4 % ». Mais il reconnaît aussitôt que les marges d’erreur sont plutôt larges.

Les perspectives sont encore plus sombres pour les femmes. « À cause de leurs seins et de leurs ovaires, les femmes astronautes sont exposées à un risque double de celui des hommes ».

Les chercheurs responsables de ces travaux ont pris pour hypothèse que le vaisseau en partance pour Mars serait essentiellement constitué d’aluminium, soit une composition proche de celle des modules de commande des anciennes missions Apollo. Dans ces conditions, l’enveloppe du vaisseau absorberait à peu près la moitié des radiations qui la frapperaient.

« Si le risque induit ne dépasse pas quelques pour-cents… on peut y aller. Nous serions en mesure de construire un vaisseau en aluminium et de mettre le cap sur Mars. » (L’aluminium est un matériau très utilisé dans les vaisseaux spatiaux car il est relativement léger, résistant et que les ingénieurs savent le travailler à la perfection depuis le temps qu’ils l’utilisent dans l’industrie aérospatiale.)

« Mais si le vrai chiffre est plus proche de 19 %… notre astronaute dans la force de l’âge se retrouverait avec une chance de 20 % + 19 % = 39 % de développer un cancer mortel après son retour sur Terre. Ça, ça n’est tout simplement pas acceptable. »

Si les marges d’erreur sont aussi grandes, c’est pour une raison facilement compréhensible : les radiations du milieu spatial sont un mélange absolument unique de rayons gamma, de protons de haute énergie et de rayons cosmiques. Les radiations consécutives à l’explosion d’une bombe atomique ou destinées à traiter les cancers, à la base de la plupart des études, n’en constituent qu’une très mauvaise approximation.

La plus grande menace pour les astronautes en route vers Mars vient des rayons cosmiques galactiques, ou RCG pour faire court. Il s’agit de particules accélérées à une vitesse proche de celle de la lumière par de lointaines explosions d’étoiles en supernova. Les RCG les plus dangereux sont des noyaux lourds ionisés comme Fe+26.

« Ils sont beaucoup plus énergétiques (leur énergie atteint plusieurs millions de méga électrons-volt, ou MeV) que les protons typiquement éjectés par les éruptions solaires (qui eux atteignent les dizaines de milliers de MeV) » insiste Cucinotta. Les RCG déboulent à toute vitesse et, comme autant de minuscules boulets de canon, rentrent comme dans du beurre dans les coques de vaisseaux et le corps humain, y creusant des tranchées dans les brins des molécules d’ADN, endommageant les gènes et tuant les cellules.

Les astronautes ont rarement eu à rencontrer ces rayons cosmiques galactiques dans toute leur intensité. Si on prend l’exemple de la Station Spatiale Internationale, elle n’est jamais qu’à 400 km au-dessus de la surface terrestre. La masse de notre planète, occupant un volume très important, intercepte environ un tiers des rayons cosmiques galactiques qui sans cela frapperaient la station. Un autre tiers est piégé par le champ magnétique terrestre. Les astronautes à bord de la navette spatiale bénéficient des mêmes protections naturelles que ceux qui se trouvent dans l’ISS.

Les astronautes du programme Apollo qui se sont rendus sur la Lune ont absorbé des doses bien plus élevées, environ trois fois supérieures, mais pendant quelques jours seulement, et essentiellement durant le trajet de la Terre à la Lune. Selon Cucinotta, les rayons cosmiques galactiques ont pu endommager leurs yeux. Pendant leur trajet vers la Lune, les équipages d’Apollo ont rapporté avoir vu comme des éclairs alors qu’ils avaient les yeux fermés, et c’était en fait la conséquence des rayons cosmiques galactiques qui traversaient leur rétine. Et aujourd’hui, plus de trente ans après, certains d’entre eux ont développé des cataractes. Cela mis a part, ils ne semblent pas avoir trop souffert de l’exposition aux radiations. « Quelques jours passés dans l’espace lointain semblent sans graves conséquences » en conclut Cucinotta.

Mais les astronautes en partance pour Mars y passeront bien plus que quelques jours, plus d’un an au total entre l’aller et le retour. « Aujourd’hui, nous ne pouvons pas encore estimer avec une fiabilité suffisante ce que les rayons cosmiques provoqueront chez nous lorsque nous y serons exposés aussi longtemps. »

C’est pour y remédier que le Nouveau Laboratoire d’étude des Radiations Spatiales (NSRL en est l’acronyme anglais) a été mis sur pied au Laboratoire National Brookhaven du Ministère Américain de l’Energie, à New York. Il a ouvert en octobre 2003. « Au NSRL, nous avons des accélérateurs de particules qui simulent l’effet des rayons cosmiques » explique Cucinotta. Les chercheurs exposent des cellules et des tissus de mammifères au faisceau de particules, puis observent les dégats. « D’ici à 2015, notre objectif est de réduire à quelques pour-cents les marges d’incertitude dans notre estimation du risque. »

Le Plastique, c’est fantastique !

Une fois que les risque seront connus, la Nasa pourra prendre une décision quant au type de vaisseau à construire. Il se peut que les matériaux généralement utilisés comme l’aluminium aient des performances suffisantes. Et si ce n’est pas le cas, « nous avons déjà identifié quelques alternatives » avance-t-il.

Et pourquoi pas construire un vaisseau spatial en plastique ?

« Les plastiques sont riches en hydrogène, un élément qui fait du bon boulot lorsqu’il s’agit d’absorber les rayons cosmiques » justifie Cucinotta. Le polyéthylène par exemple, dans lequel sont faits les sacs poubelle, absorbe 20 % de rayons cosmiques de plus que l’aluminium. Une forme de polyéthylène renforcé développé au Centre Spatial Marshall est 10 plus résistant que l’aluminium, mais également plus léger. Il pourrait donc devenir un matériau de choix pour la conception des vaisseaux spatiaux, si cela peut être réalisé à un coût raisonnable. « Même si nous ne construisons pas tout le vaisseau en plastique, nous pourrions utiliser ce matériau pour abriter des secteurs cruciaux comme les quartiers de l’équipage. » Et de fait, c’est ce qui se fait déjà à bord de l’ISS.

Et si le plastique est encore insuffisant ? Alors on pourrait recourir à l’hydrogène pur. A poids égal, l’hydrogène liquide bloque 2,5 fois plus de rayons cosmiques que l’aluminium. Certains projets de vaisseaux avant-gardistes incluent de vastes réservoirs d’hydrogène liquide qui servirait de carburant. Aussi, « nous pourrions préserver l’équipage des radiations en plaçant les quartiers d’habitation à l’abri des réservoirs » imagine Cucinotta.

Les hommes pourront-ils un jour aller sur Mars ? Cucinotta croit bien que oui. Mais d’abord, « il nous faut comprendre combien de radiations nos corps peuvent supporter et quel type de vaisseau il nous faut construire ». Dans plusieurs laboratoires répartis aux Etats-Unis, ce travail a déjà commencé.

Quelques liens pour aller plus loin

Bureau de recherche biologique et physique de la Nasa

Laboratoire d’étude des Radiations Spatiales.

Quel est l’effet des radiations sur le corps humain

Programme de protection contre les radiations

Le fantastique voyage des nanos-chirurgiens

Le torse fantome

Biosentinelles ADN

Le poids des matériaux, l’étoffe des héros

Rayons cosmiques en ballon

Les rayons cosmiques

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