article original publié par Science @ Nasa
auteur : Docteur Tony Phillips
traduction de Didier Jamet
8 JANVIER 2003
Plissant les paupières, Australopithèque leva les yeux vers le ciel africain intensément bleu. Jamais auparavant il n’avait vu une étoile briller en plein jour, comme celle qu’il pouvait observer aujourd’hui : blanche, étincelante, pas autant que le soleil, mais beaucoup plus que la pleine Lune. Etait-ce dangereux ?
Il resta un long moment à l’observer, intrigué, mais rien ne se passa. Aussi au bout d’un certain temps il se remit à arpenter la savane sans plus se soucier du phénomène.
Avec quelques millions d’années de recul, nous en savons à présent un peu plus
« Il s’agissait d’une supernova, une de celles, nombreuses, qui ont explosé dans notre coin de galaxie au cours des 10 derniers millions d’années », nous confirme Mark Hurwitz, de l’Université de Californie-Berkeley.
Aujourd’hui, les supernovae sont plutôt rares dans notre voisinage, mais durant le pliocène, période à laquelle vivait Australopithèque, il s’en produisait plus fréquemment. Elles trouvaient leur origine dans un nuage interstellaire nommé « Sco-Cen » évoluant dans les parages de notre système solaire. À l’intérieur de ce nuage, la matière s’accumulait peu à peu autour de zones initialement plus denses jusqu’à former des étoiles géantes à la vie brève mais mouvementée, se terminant par une violente explosion.
Certains chercheurs estiment (avec une grande incertitude) qu’une supernova se produisant à moins de 25 années-lumière de la Terre aurait pu faire disparaître l’essentiel des formes de vie terrestres. Et pas besoin de vitrifier la planète pour cela. Il aurait suffi de quelques rayons cosmiques de trop pour détruire la couche d’ozone, exposant ainsi la surface de notre planète à des doses mortelles de rayons ultraviolets. Si nos ancêtres ont survécu aux explosions du Pliocène, c’est parce qu’aucune d’elles ne s’est produite trop près.
Nous savons tout cela car nous pouvons encore observer le nuage aujourd’hui. Il se situe actuellement à 450 années-lumière de la Terre et s’éloigne dans la direction des constellations du Scorpion et du Centaure (d’où son nom de « Sco-Cen »).
L’astronome Jésus Maiz-Apellaniz de l’Université John Hopkins a récemment retracé le parcours de Sco-Cen, ce qui lui a permis d’estimer son plus proche passage : 130 années-lumière, il y a 5 millions d’années de cela.
Sco-Cen était encore dans les parages il y a deux millions d’années de cela, à une époque où beaucoup d’espèces de planctons, de mollusques et autres créatures marines sensibles aux UV disparurent mystérieusement. Les paléontologues ont retenu cette phase d’extinctions massives comme transition entre les ages du pliocène et du pléistocène.
Au même moment, si l’on en croit les scientifiques allemands qui ont étudié les sédiments du Pliocène déposés au fond des mers, la terre était parsemée de Fe 60, un isotope du fer produit dans les explosions de supernovae.
Coïncidence ? Personne ne sait. Les chercheurs essayent toujours de rassembler les pièces du puzzle, mais ils en manque encore beaucoup.
Retracer l’histoire des supernovae proches est un exercice difficile car les anciennes supernovae se font très discrètes. Leur coquille lumineuse devient invisible en moins d’un million d’années. Les étoiles à neutron, les noyaux effondrés des astres à l’origine des supernovae, durent plus longtemps, mais elles se trouvent projetées aléatoirement dans la galaxie par les asymétries de l’explosion. Enterrés sous des millions d’années de dépôts sédimentaires, les isotopes inhabituels du fer, comme celui associé aux extinctions marines vues précédemment, sont difficiles à mettre à jour.
Cependant chaque supernovae laisse derrière elle un indice qui ne trompe pas : « ces explosions créent une énorme bulle dans le milieu interstellaire, » confirme Hurwitz, « et nous sommes dans l’une d’elles ».
Les astronomes l’appellent « la bulle locale ». Elle a la forme d’une cacahouète, fait dans les 300 années-lumière de long, et est pleine de vide. On y trouve un gaz à très faible densité (0,001 atome par centimètre cube), mais très chaud (un million de degrés). C’est 1000 fois moins dense mais de 100 à 100 000 fois plus chaud que le milieu interstellaire ordinaire.
La Bulle Locale a été découverte par étapes dans les années 70 et 80. Les astronomes se sont mis à la recherche du gaz interstellaire présent dans notre zone de la galaxie, grâce à des observations en optique et en radio, mais ils en ont trouvé très peu au voisinage de la Terre.
De plus, il semblait y avoir un amoncellement de gaz formant comme l’enveloppe d’une bulle à une distance moyenne de 150 années-lumière.
Dans le même temps, les astronomes observant en rayons X obtenaient leurs premières images du ciel grâce aux observatoires en orbite. Elles révélèrent un rayonnement X provenant de toutes les directions à la fois, émis par une source portée à un million de degrés.
« Nous avons fini par comprendre que le Système Solaire se trouvait bel et bien au sein d’une bulle chaude et vide » rappelle Hurwitz.
Dans le courant de la semaine, la NASA lancera le satellite CHIPS (pour Cosmic Hot Interstellar Plasma Spectrometer, Spectromètre du plasma interstellaire cosmique chaud) afin d’étudier plus en détail cette bulle locale. Quelles énigmes scientifiques devra-t-il résoudre ? La réponse dans la suite de cet article, « La Vie joue-t-elle à cache-cache avec les nuages interstellaires ? » (lien ci-dessous)