article de Didier Jamet
18 DECEMBRE 2001
Elle ne devait être qu’un banc d’essai pour des technologies spatiales de pointe, et son espérance de vie ne dépassait pas l’année. Plus de trois ans après, Deep Space 1 se portait comme un charme, et s’était même payé le luxe de ramener les meilleures images jamais réalisées d’un noyau cométaire en septembre dernier. Mais tout a une fin …
Le destin est cruel pour les pionniers de l’espace, du moins lorsqu’ils ne sont pas faits de chair et d’os. Le 18 décembre 2001, la NASA a envoyé à Deep Space 1 l’ordre de couper définitivement son moteur ionique, plongeant ainsi la sonde dans un sommeil sans retour.
Durant ses trois années de service, la sonde a permis de tester quantité de nouvelles technologies qui seront utilisées pour de futures missions interplanétaires. Parmi celles-ci, on peut citer de nouveaux panneaux solaires dotés d’un meilleur rendement, des composants miniaturisés permettant de libérer de la charge utile lors des lancements, et un système d’autodiagnostic de la sonde, également capable de se dépanner toute seule.
Elle fait le point toute seule !
Autre avancée significative dans le domaine de l’intelligence artificielle spatiale, Deep space 1 bénéficiait d’un tout nouveau système de navigation… aux étoiles. Il rendait la sonde parfaitement autonome du contrôle au sol, ce qui était une grande première. Ce genre de dispositif permettra un jour à un vaisseau inhabité de se rendre aux confins du système solaire et de rectifier son cap sans attendre les instructions en provenance de la Terre pendant des heures. Ainsi, à supposer que le nuage de Oort existe bel et bien, certains des noyaux de comètes qui le composent pourront être approchés automatiquement, opération à peu près impossible à piloter à distance depuis la Terre, l’échange de données prenant plus d’un mois à cette distance (450 milliards de kilomètres)
Le moteur Ionique : le diesel de l’espace
Mais le dispositif le plus prometteur embarqué à bord de Deep Space 1 était sans conteste son moteur à propulsion ionique, qui s’est avéré d’une remarquable fiabilité, fonctionnant sans problème durant 670 jours. Les moteurs ioniques sont en fait des canons à électrons qui bombardent un gaz-carburant au départ électriquement neutre. Sous l’effet de ce bombardement, le gaz acquière une charge électrique (les atomes ayant gagné un électron deviennent des ions, d’où le nom du moteur), et deviennent donc sensibles à un champ électrique les dirigeant vers la tuyère d’éjection, où ils peuvent atteindre des vitesses très élevées (de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres par seconde).
Bien sur, la poussée initiale sur le vaisseau est très faible comparée à un moteur chimique classique : pour fixer les idées, un moteur-fusée classique permet d’atteindre une vitesse de 11 kilomètres par seconde en une poignée de minutes. Deep Space 1, au mieux de sa forme, n’accélérait que de 35 kilomètre/heure par jour… mais regardez ce que cela donne au bout d’un an d’ accélération continue : près de 13 000 kilomètres/heure !
C’est là la grande force du moteur ionique. Consommant cent fois moins que le propulseur chimique, il peut accélérer très longtemps, tout en ayant à embarquer beaucoup moins de carburant au départ. De plus, la source d’énergie utilisée pour bombarder d’électrons le gaz-carburant est inépuisable : c’est celle de notre étoile, captée par les panneaux solaires du vaisseau. Un rendement aussi efficace pourrait permettre d’optimiser les futures missions martiennes non habitées, la place libérée par le carburant autorisant l’emport d’un matériel d’analyse scientifique plus complet.
Une boule de glace pour le dessert
Mais finalement, le plus grand bénéfice de la mission était totalement imprévisible lors de son lancement en 1998. En septembre dernier, toujours étonnamment vaillante, Deep space s’est approchée à moins de 2200 kilomètres du noyau de la comète Borelly, alors à 220 millions de kilomètres de la Terre. Elle en a profité pour prendre des images révélant à sa surface des détails inférieurs à 50 mètres. Elle a également permis l'analyse des gaz émis par la comète et la mesure de son champ magnétique, données qui sont toujours en cours d’analyse. Chose étonnante, alors qu’elle ne disposait d’aucun blindage adapté à la circonstance, elle a traversé la queue de poussière de Borelly sans aucun dommage pour ses instruments, preuve supplémentaire de son endurance à toute épreuve.
Au final, c’est un bilan vraiment exceptionnel pour cette petite sonde aux ambitions bien modestes au départ, mais dont les ingénieurs de la NASA ont su tirer le meilleur.