Quelle taille pour les télescopes de demain ?

article de Fabrice Mottez
1er AVRIL 2003

Vue d\'artiste du projet de telescope OWL.
Vue d'artiste du projet de telescope OWL.

European Southern Observatory

Les plus grands télescopes actuels ont des miroirs atteignant 8 ou 10 mètres. Les astronomes travaillent à la conception de la prochaine génération de télescopes. Le diamètre de leur miroir atteindrait plusieurs dizaines de mètres... Comment choisir la bonne dimension ?

Les plus grands télescopes au monde sont actuellement ceux du VLT (Very Large Telescopes, 4 télescopes identiques avec un miroir de 8 mètres), et ceux du Keck Observatory (deux télescopes équipés de miroirs de 10 mètres de diamètre). Le VLT est un projet de l’European Southern Observatory (ESO), le Keck dépend d’une fondation américaine et de la NASA.

Ces télescopes ont des miroirs si grands qu’ils se déforment sous leur propre poids, il faut continuellement en corriger la forme. La solution consiste à analyser l’image produite par une étoile (qui devrait idéalement être ponctuelle), et à corriger la forme d’un des miroirs à l’aide de vérins, afin d’annuler l’effet des déformations. Cette technologie sophistiquée, l’optique active, est le sésame qui permet l’emploi de télescope avec de très grands miroirs (au delà de 6 mètres).

Ces observatoires tournent actuellement à plein régime et permettent des découvertes de premier ordre. Néanmoins, les astronomes ont entrepris une réflexion sur ce que pourrait être la prochaine génération de très grand télescopes. Vu les tailles de miroirs envisagées, les astronomes parlent d’ELT (acronyme anglais pour Télescopes Extrêmement Larges).

Certains astronomes envisagent la construction d’un télescope dont le miroir primaire aurait un diamètre de 100 mètre. C’est en particulier le cas du projet OWL (Hibou en anglais) à l’étude à l’ESO. D’autres chercheurs pensent qu’un projet de taille intermédiaire de 16, 20 ou 30 mètres serait une alternative intéressante.

Pourquoi ces chiffres ?

Un télescope de 100 mètres, tel OWL, permettrait d’observer des objets extrêmement peu brillants. On parle d’atteindre la magnitude 38 (un accroissement de 5 magnitudes correspond à un éclat 100 fois plus faible, l’œil atteint la magnitude 6, des jumelles la magnitude 9 et les grands télescopes actuels la magnitude 27) et une résolution angulaire d’un millième de seconde d’arc. Un tel instrument devrait permettre l’observation d’étoiles en formation, des exoplanètes, l’étude de leur atmosphère, et peut être d’y révéler une biosphère. L’étude détaillée de galaxies lointaines deviendrait possible. Cela permettrait d’y révéler les grandes phases de leur développement et de remonter dans des phases très anciennes de l’histoire de notre univers.

Mais un tel instrument coûterait très cher, si cher qu’il faudrait peut être envisager un programme en coopération mondiale pour le mettre au point. Le prix élevé aurait plusieurs origines : la taille et la complexité de l’instrument en sont une. L’autre : le miroir servant à corriger les défauts du télescope aurait une taille d’au moins deux mètres, et il n’existe pas à l’heure actuelle de technologie pour faire de l’optique active sur un miroir aussi grand. Il faut donc enclencher un grand programme de recherche et développement pour inventer une nouvelle technologie d’optique adaptative.

Face à de telles difficultés, des chercheurs pensent qu’il serait raisonnable de construire des télescopes de taille intermédiaire : 20 ou 30 mètres. Pourquoi ? Par ce que de tels télescopes permettraient déjà un grand saut qualitatif dans la qualité des observations astronomiques (ils dépasseraient la magnitude 30), et parce qu’en dépit de leur taille et de leur complexité, les technologies pour les construire existent. Les techniques actuelles pourraient même, en principe, s’appliquer à des télescopes de 40 mètres.

Pourquoi ne pas construire alors un télescope de 40 mètres ? Certains y pensent. D’autres considèrent qu’il est n’est pas raisonnable de pousser une technologie à son extrême limite, car alors, on risque de dépenser tout l’argent et toute l’énergie des équipes à régler des problèmes techniques plutôt qu’à produire de la science.

Le chiffre de 16 mètres est parfois évoqué dans la communauté française. C’est parce que la France dispose avec le Canada d’une grande coupole sur la montagne Mauna Kea à Hawaï. Cette coupole abrite actuellement le télescope CFHT équipé d’un miroir de 3,6 mètres. Or ce télescope pourrait être démonté, et remplacé, dans la même coupole, par un instrument dont le miroir atteindrait (au plus) 16 mètres. Cela dit, il serait dommage que la France se lance dans un instrument de 16 mètres si d’autres pays construisent en même temps un télescope de 30 mètres. Le télescope de 16 mètres serait dépassé dès son inauguration. Mais si les télescopes de 20, 30 ou 100 mètres tardent à être construits, alors un télescope de 16 mètres permettrait à la France (et à d’autres pays désirant se joindre au projet) d’avoir de l’avance pendant quelques années.

De nombreux astronomes pensent que pour départager les choix entre les divers projets d’ELT, une étude méticuleuse des objectifs scientifiques atteignables par chacun de ces instruments doit être entreprise, et que l’importance des découvertes potentielles propres à chaque projet devrait être mise en balance avec l’importance des investissement financiers et techniques.

Mais comme on le sait, il est extrêmement difficile, voire impossible, d’anticiper les découvertes scientifiques. On ne peut qu’envisager des domaines de recherches, et tenter d’évaluer leur portée. Qui aurait prédit il y a cinq ou six ans, que les télescopes un peu anciens de l’Observatoire de Haute Provence allaient permettre l’une dess découvertes majeures de la décennie : les exoplanètes ? Qui avait une idée précise de ce qu’on découvrirait avec le VLT, le Keck, et le télescope spatial ? Grâce à ces instruments, on fait sur des milliers de galaxies des mesures qui n’étaient possible alors que sur celle d’Andromède. Notre connaissance de l’histoire de l’univers a fait un bond incroyable, qu’il aurait été difficile d’estimer alors qu’on concevait ces instruments.

Le choix n’est pas simple !

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